Geckos de France.




Sur le mur d’un mas provençal, un lézard des murailles se dore à pilule à quelques mètres du hamac où vous-même, lézardez. Un peu plus haut, près du lierre qui recouvre le vieux mur, un étrange lézard semble faire corps avec la pierre. Posé tête en bas, à la verticale, ainsi collé au mur on croirait qu’il y a été écrasé ! Avec ses grands yeux ouverts, ses doigts larges et con corps rugueux, c’est gecko. La France métropolitaine compte trois espèces de geckos, mais seuls les habitants de Corse, de la côte d’azur et quelques autres régions du « midi » de la France ont la chance de les observer car comme tous méditerranéens comme  l’ensemble des geckos européens.

Les geckos font partie du groupe des Gekkotiens ou Gekkota. Autrefois, tous les « geckos » étaient répartis dans une  seule et même famille, celle des Gekkonidés, qui a depuis été fragmentée en plusieurs familles à part entière.

Les trois espèces françaises front partie de trois familles différentes :
  • Hemidactylus turcicus (L. 1758), l’Hémidactyle verruqueux, fait partie de la famille des Gekkonidés.
  • Tarentola mauritanica (L. 1758), la Tarente de Maurétanie, fait partie de la famille des Phyllodactylidés.
  • Euleptes europaea (Gené, 1839), l’Eulepte d’Europe, anciennement Phyllodactylus europaea, fait partie de la famille des Sphaerodacylidés (et non des Phyllodactylidés comme le suggère son ancien nom scientifique). Si le nom Phyllodactyle d’Europe est le plus courant, celui d’Eulepte d’Europe devrait l’emporter pour éviter les confusions.
 
Nous avons là trois des quatre espèces européennes, la dernière étant une espèce de Gekkonidé, Mediodactylus kotschyi, qui ne vit pas en France.

La Tarente de Maurétanie occupe une vaste répartition. On la trouve en Afrique du nord, en Espagne, au Portugal, dans le sud de la France, en Italie et  dans le Péloponnèse en Grèce, ainsi que sur de nombreuses îles de Méditerranée. Elle a aussi été introduite aux USA et sur d’autres îles ailleurs dans le monde. L’Hémidactyle verruqueux est également largement distribué, on l’observe tout autour de la Méditerranée. Elle reste néanmoins davantage cantonnée aux zones littorales. Ce gecko a aussi été introduit en d’autres régions du monde comme en Amérique centrale. L’Eulepte d’Europe lui est endémique de quelques îles de la Méditerranée occidentale, notamment la Corse, la Sardaigne, les îles de Toscane, du Golfe du Lion ainsi que quelques îles au large de la Tunisie. Les populations continentales, en Toscane, près de Gênes ou sur la Côte d’Azur sont très limitées. Il ne semble pas que cette espèce ait été introduite sur le continent, mais au contraire, elle fut sans doute plus répandue dans le passé et les populations continentales sont les dernières à survire à la régression généralisée de son aire de distribution continentale.

La Tarente de Maurétanie :

Tarentola mauritanica fut nommée par Linné en 1758 sous le nom très générique de Lacerta mauritanica. Elle est divisée en quatre sous-espèces (Vacher & Geniez 2010), c’est la sous-espèce nominale, T. mauritanica mauritanica, qui vit sur le territoire français. Toutefois, cette sous-espèce semble en fait composée de lignées différentes. Ce mélange – sans doute lié à des introductions involontaires très anciennes faites par l’Homme – fait qu’une réforme de sa classification est nécessaire. Les trois autres sous-espèces sont présentes en Afrique du Nord, d’où l’espèce est originaire.

 
Jeune Tarente dans une position typique des geckos.

Ce lézard mesure entre 15 et 20 cm, queue comprise… qui n’est pas toujours entière ! C’est un gecko typique, au corps aplati, à la tête large avec de grands yeux sans paupière mobile et dont la pupille est fendue et échancrée. Le corps est massif par rapport aux deux autres espèces plus sveltes, la queue est assez mince. Les pattes sont pourvues de doigts adhésifs, une caractéristique fréquente chez les geckos, leur permettant de grimper sur n’importe quel support et dans n’importe quelle position, même sur vitre verticale. Attention, ce ne sont pas des ventouses comme on l’entend souvent, mais des doigts dont la face interne est couverte de lamelles (12 chez la Tarente de Maurétanie), elles-mêmes couvertes de minuscules « poils » - nommées setae – enduites d’un film gras. Les doigts des tarentes sont pourvus de griffes, mais elles ne sont visibles que sur les deux derniers doigts. Le corps est couvert d’écailles plus grandes et pointues, donnant au lézard un aspect granuleux plus marqué chez la Tarente que chez les autres espèces. Sur les côtés de la tête, derrière les yeux, on observe aussi des écailles épineuses.

La coloration est brune à grise, des bandes transversales plus ou mos foncées marquent le dos et la queue mais parfois les spécimens sont entièrement brun foncé, surtout le jour. La coloration évolue au fil de la journée, selon l’humeur, la température et la lumière. Les photos les montrent souvent avec de petits points rouges sur le corps, notamment entre les doigts : il s’agit de parasites (acariens).

L’espèce est assez commune sur tous les départements bordant la Méditerranée. Elle a aussi été observée plus haut dans la Vallée du Rhône (Drôme et Ardèche). Elle est également observée à Toulouse ainsi que d’autres localités de Haute-Garonne. Ces populations sont récentes (fin du XXème siècle) et liées à des introductions involontaires. Sa présence à Bordeaux est signalée par Vacher & Geniez (2010) mais absente de l’Atlas de répartition des Amphibiens et Reptiles de France » de Lescure & de Massary (2012). C’est une espèce anthropophile qui se développe facilement en zone urbaine. Elle est par exemple observée dans les agglomérations de Toulon, Narbonne et autres villes à l’ouest de Marseille, mais on ne l’y observe pas en pleine nature… C’est la seule espèce de gecko français qui est en expansion. On la retrouve aussi en Corse. C’est une espèce de plaine, ne s’élevant généralement pas au-dessus de 500m.

T. mauritanica affectionne tout particulièrement les zones rocheuses, les talus, les murs, les sous-pentes des maisons... Bien que ce soit essentiellement un lézard nocturne, on peut assez facilement le voir en journée. Le matin, voire même plus tard, on peut l’observer, se tenant immobile et souvent à la verticale, soit en plein soleil soit à moitié dissimulé derrière du feuillage ou à l’entrée d’une anfractuosité. Le reste du temps, la tarente se cache dans les trous des murs, dans les sous-pentes des maisons ou tout autre abri en hauteur. La proximité des humains et notamment dans les villes lui offre des terrains de chasse idéal, en particulier grâce aux lampadaires et autres éclairages nocturnes qui attirent les insectes volants dont les geckos se régalent… Un véritable supermarché pour lézard nocturne !

 
 
Tarente adulte sortant en plein jour.

L’Hemidactyle verruqueux :

H. turcicus a aussi été nommé par Linné, toujours dans le genre Lacerta, sous L. turcica. Trois sous-espèces sont communément citées, seule la sous-espèce nominative s’observe en France.  La classification de cette espèce, comme du genre Hemidactylus en général, est complexe et soumise encore à débats et à études.
Plus petite que la Tarente de Maurétanie, n’excédant pas 12 cm, on pourrait confondre un hémidactyle adulte avec une jeune tarente. Toutefois, la tête de l’Hemidactyle est moins large à sa base, moins triangulaire. Ses griffes sont bien visibles au bout de chaque doigt adhésif. Même si son corps est parsemé de tubercules arrondis, la peau entre ces tubercules est parfaitement lisse et plus fine avec une teinte rosâtre, notamment la nuit où elle devient légèrement translucide. Ainsi, H. turcicus a un aspect moins « épineux » que sa grande cousine, et un corps globalement plus fin. La coloration est semblable à celle de la Tarente mais on assiste au phénomène inverse de sa cousine : la coloration est annelée de marques sombres en journée, elle devient uniforme et s’éclaircie la nuit. Toutefois, il est très peu observé en journée, préférant rester caché dans les sous-pentes des habitations, dans les fissures des murs, entre les rochers…

L’espèce s’avance très peu dans les terres par rapport à Tarentola mauritanica. On ne l’observe que sur le littoral et notamment entre Nice et Marseille. Une population est signalée dans les Pyrénées orientales. Elle est également présente à Sète et à Nîmes, seul site non maritime. Il s’agit là de populations urbaines, introduites, comme dans d’autres villes de la Côte d’Azur. L’espèce est donc anthropophile comme la tarente mais bien moins conquérante et adaptable ; ces deux espèces s’évitant même car H. turcicus est présent là où T. mauritanica ne l’est pas. C’est aussi une espèce de plaine, qui monte encore moins haut que la tarente (400 m max. en Corse, 260 m en Provence). Dans la nature, ce gecko s’observe essentiellement dans les zones rocheuses.

Les populations du massif des Albères (Pyrénées orientales), des Callanques de Marseille et de La Ciotat ainsi que des îles Hyères semblent être naturelles, de même que celles de Corse. Il est difficile de dire si une population a été introduite en suivant l’Homme ou si elle est parvenue là par ses propres moyens car les geckos suivent facilement l’Homme dans ses déplacements et le bassin méditerranéen est une zone de commerce et de migrations humaines depuis des milliers d’années. De nos jours, hémidactyles et tarentes se déplacent par exemple avec le transport de gravats, de container dans lequel un spécimen peut se cacher ou dans le transport de plantes. Les choses vont vite car le flux et la rapidité de déplacement sont très rapides. Une tarente cachée dans chargement de tuiles ou de gravats qui part de Marseille arrive le jour même à Toulouse. De plus, ils pondent leurs œufs sur des troncs, dans les murs etc., ceux-ci peuvent aussi être transportés. Toutefois, dans le passé, même lointain, ces geckos, comme d’autres lézards, ont pu être dispersés dans toute le bassin méditerranéen par el commerce alors très dynamique des grecs, romains, carthaginois, phéniciens… suivant par exemple l’expansion de l’olivier, se dissimulant dans des amphores… Ils ont également pu, bien avant ces civilisations, suivre les déplacements des humains.

Autre cohabitation intéressante, celle de l'hémidactyle avec les nids de martinets. Ces oiseaux insectivores nichent souvent en ville, insectivore, ils apportent des insectes à leurs oisillons, mais il y a souvent du gaspillage: les geckos (la tarente également) en profitent et font en même temps office de service de nettoyage.

H. turcicus est considérée comme « quasi-menacée » par le comité français de l’IUCN.

L’Eulepte d’Europe.

Euleptes europaea est la seule espèce du genre Euleptes, qui a longtemps été un casse-tête taxonomique. Autrefois appartenant au genre Phyllodactylus, en 1997, elle fut classée dans le genre Euleptes par Bauer & al. Le genre Phyllodactylus a donné son nom à la famille des Phyllodactylidés, mais le genre Euleptes n’en fait pas partie, c’est un Sphaerodactylidé, un groupe de petits geckos qu’on trouve également aux Antilles (on ne parle pas là du gecko des maisons, Hemidactylus mabouia qui est un cousin de l’Hemidactyle verruqueux à, mais des espèces du genre Sphaerodactylus, de minuscules geckos aux couleurs parfois magnifiques).
C’est le plus petit des trois geckos français, mesurant au maximum 8 cm. Cette espèce est très facile à reconnaître, son aspect est plus svelte que celui de la tarente et est dépourvu de tubercules donnant un aspect parfaitement lisse à sa peau très fine. La queue est légèrement plus charnue. Les doigts sont fins sauf aux extrémités où ils sont bilobés, en forme de cœur. La coloration est rosâtre à grise, la peau très fine permet de distinguer les oeufs dans le ventre des femelles ou même les organes, surtout la nuit. Des bandes sombres sont disséminées sur le corps et s’estompent avec l’obscurité.

C’est en revanche, une espèce plus difficile à observer ! L’Eulepte d’Europe se rencontre surtout en Corse, il est très rare sur le continent. Historiquement, il n’est connu que sur quelques îles de la Côte d’Azur comme les îles du Frioul ou à Port-Cros, on les observe aussi sur des îlots très petits où ils sont les seuls vertébrés terrestres à survivre. En 1995, une population a été découverte dans l’arrière-pays niçois. Le problème de cette espèce c’est sa tendance à disparaître puis à réapparaître… des populations n’ont ainsi plus été vues pendant plus d’un siècle, malgré les prospections régulières, puis sont « réapparues » subitement. Ce phénomène, non lié à l’absence d’observateurs, laisse encore les herpétologues perplexes et semble bien être un trait spécifique de cette espèce dont la démographie connait de spics et des effondrements spectaculaires.

Par rapport aux autres espèces, l’Eulepte peut vivre en altitude, notamment en Corse où il est signalé jusqu’à 1 500 m, et 900 dans les alpes maritimes.  Beaucoup plus timide que la tarente, on ne l’observe presque jamais au soleil, il est strictement nocturne et n’apprécie pas la proximité humaine. Il vit exclusivement dans les zones rocheuses, et là où les rochers montrent un grand nombre de fissures et anfractuosités étroites à l’intérieur desquelles il se glisse. En hiver, même s’il n’hiberne pas véritablement, son activité est ralentie. Il est également observé des regroupements où plusieurs spécimens s’enfoncent dans les interstices de rochers et se collent les uns aux autres.

Cette espèce est considérée comme quasi-menacée par le comité français de l’IUCN,  c’est sans doute l’espèce la plus rare et la plus atypique parmi les geckos européens.

Reproduction :

Ces trois espèces ont un mode de reproduction ovipare assez similaire. Comme de très nombreux geckos, les femelles ne pondent qu’un ou deux œufs par pontes (voire 3 pour Euleptes europaea), mais elles pondent plusieurs fois dans l’année. L’Eulepte ne dépose que deux pontes, la tarente trois et plus pour l’hémidactyle. Pour les geckos européens, les pontes sont déposées au printemps et au début de l’été. Ils ne sont pas enterrés comme chez beaucoup d’autres reptiles mais sont pondus « à l’air libre », dans des fissures de roches ou dans les interstices d’un mur, sous les combles d’une maison, dans un arbre creux ou sous des écorces en partie arrachée au tronc… La coquille des oeufs est dure et très cassante alors que de nombreux reptiles pondent des oeufs à coquille souple. Parfois, plusieurs femelles pondent au même endroit. S
elon les conditions climatiques, l’incubation dure un à deux mois, jusqu'à trois mois pour la tarente.

Un gecko sous mon toit ?

Comme pour les chauves-souris, il arrive qu’une maison abrite un ou plusieurs geckos, notamment des tarentes voire des hémidactyles. Les talus, vieux murs non cimentés (ou du moins laissant des interstices) et façade de vieilles masures sont recherchées, mais ils habitent aussi souvent les sous-pentes et les toits, s’abritant sous la gouttière, sous les tuiles ou la charpente mais aussi derrière des volets. On peut aussi les trouver dans l’abri de jardin, se cachant derrière une étagère, ou dans un tas de bois… En général, ils sont discrets, surtout l’hémidactyle, mais on peut les observer la nuit tombée autour d’un éclairage extérieur qui attire les insectes. Ces geckos sont totalement inoffensifs, et si parfois l’un d’entre eux s’égare dans la maison, inutile de paniquer ! D’autant qu’ils sont protégés et que vous n’avez pas le droit de les déranger.

Sources:
Arnold N. & D. Ovenden 2002. Le guide herpéto. Delachaux & Niestlé.
Fretey J. 1987. Guide des reptiles de France. Hatier.
Lescure J. & De Massary C. 2013. Atlas des Amphibiens et des Reptiles de France. Editions Biotopes.
Serre-Collet F. 2013. Sur la piste des reptiles et des amphibiens. Dunod.
Uetz - http://reptile-database.reptarium.cz (consulté en jan. 2014)
Vacher J-P & Geniez M. 2010. Les Reptiles de France, Belgique, Luxembourg et Suisse. Editions Biotopes.
www.wikipedia.org


Vincent NOËL - 9 février 2014. http://tiliqua.wifeo.com
 



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