Le Lézard vert occidental
Lacerta bilineata Daudin, 1802.


Vincent NOËL

14 janvier 2015.
 

Quand on demande à un citoyen lambda de citer une espèce de lézard « de chez nous » il répondra souvent le lézard vert. Cette espèce est un peu l’archétype du lézard comme beaucoup de gens se l’imaginent : tout vert !

Photo : Mâle Lacerta bilineata
(Photo: Orchi )


Plus précisément, l’espèce se nomme Lézard vert occidental ou Lacerta bilineata pour ceux qui veulent faire bien dans les dîners. Pour faire encore plus « intello » dites que c'est un lacertidé, de le sous-famille des lacertinés et de la tribu des Lacertini. On vous répondra que ça fait beaucoup de lacertrucs ! Il faut dire que le taxon Lacerta a longtemps été le maître étalon de la famille!

 

Il est difficile de confondre L. bilineata avec une autre espèce, du moins en France, car c'est la seule espèce de notre territoire dont le corps est entièrement vert. Les connaisseurs me diront : et le Lézard ocellé alors ? Oui, en effet, Timon lepidus est lui aussi tout vert, mais sa taille est plus importante, sa tête plus massive (surtout les mâles) et ses tâches bleues sur les flancs le rendent parfaitement reconnaissable. De plus, Le lézard ocellé a une répartition bien plus limitée, on ne le trouve que dans le sud de la France et quelques localités du littoral landais et charentais. Quant au Lézard des souches, Lacerta agilis, proche cousin du lézard vert, il est d’une part plus petit que lui mais surtout il montre une longue et large bande brune marquée de noir et de blanc sur le dos.

 

Le lézard vert est donc vert… tout vert ! Mais en y regardant de près, on remarque que sa robe est parsemée de petites marques noires plus ou moins prononcées selon les spécimens ainsi que des point blancs sur la tête. En période d’accouplements les mâles ont une coloration plus vive que le reste de l’année, avec des teintes bleutées au niveau des lèvres et de la gorge. Les femelles sont également vertes, mais en plus une tête moins grosse que celle des mâles, on peut distinguer chez elles deux lignes longitudinales claires, entourées de taches noires discontinues, de part et d’autre de la colonne vertébrale qui disparaissent néanmoins chez les vieilles femelles. Le ventre est généralement jaune ou vert.

 

Les très jeunes lézards verts ont le dos et le haut des flancs bruns ; le bas des flancs, la gorge et les lèvres sont vertes. Puis les lignes blanches apparaissent et le corps devient vert. Les lignes persistent chez les femelles… les mâles eux deviennent totalement verts. On peut confondre les jeunes lézards verts avec les mâles adultes Lézard des souches, mais chez ces derniers la bande brune est clairement délimitée des flancs verts et le doute peut être rapidement dissipé... et s'il persiste, sachez que le Lézard vert occidental possède deux écailles post-nasales placée l'une au-dessus de l'autre, alors que le Lézard des souches n'en a qu'une. La post-nasale se trouve derrière la narine.

 

    

Photo : Très jeune Lacerta bilineata photographié dans les Landes (à gauche) et comparaison avec un Lacerta agilis mâle adulte (à droite)

 

C’est un assez grand lézard qui mesure généralement autour de 30 cm (pour un poids de 20 à 45 grammes) mais peut atteindre 40 cm, en particulier les mâles. La longueur museau-cloaque (LMC) mesure 11 à 13 cm. Il reste moins grand que le Lézard ocellé dont la LMC se situe entre 21 et 24 cm (pour 60-75 cm de longueur total), mais est plus grand que le lézard des souches dont le corps ne dépasse pas 9 cm (20-25 cm de longueur totale).

 

Il y a longtemps eut une confusion entre Lacerta viridis et Lacerta bilineata. Ce dernier fut considéré comme une sous-espèce de L. viridis et on le trouve sous ce taxon dans de nombreuses publications traitant des reptiles de France jusque récemment. Il regagna son statut d’espèce à part entière dans les années 1990*, statut que François Marie Daudin lui avait déjà conféré en 1802. L. viridis (sensu stricto) n’est pas présent en France, on le trouve en Europe centrale, dans les Balkans et jusqu’en Turquie. L. bilineata occupe l’Europe de l’Ouest, d’où le nom de Lézard vert occidental. C'est une espèce paraméditerranéenne, elle est présente sur les deux tiers sud-ouest du territoire français, l’extrême nord de l’Espagne (les Cantabriques) et la majeur partie de l’Italie, Sicile comprise. Quelques rares stations sont présentes à l’ouest de l’Allemagne. Il est absent de la plupart des îles de la Méditerranée occidentale.

 

Répartition de L. bilineata (source: wikipédia)


 

Selon les publications, L. bilineata est scindé en plusieurs sous-espèces, dont la validité est sujette à débat chez les scientifiques. En France, on ne connaît que la sous-espèce nominale : Lacerta bilineata bilineata. La sous-espèce L. b. chloronota ne se rencontre qu'en Sicile. La sous-espèce L. l. indet (Elbing, 2001) est mentionnée par Uetz sur Reptile-database, mais très peu d’autres auteurs la reprennent : Vacher & Geniez (2010) n'en font pas mention, ni Böhme & al. (2007). Il s'agit probablement d’une erreur, le terme « indet » étant régulièrement utilisé pour désigner un taxon indéterminé. Deux autres sous-espèces italiennes sont parfois citées comme L. b. chlorosecunda qui est aujourd’hui considéré comme invalide, ou encore L. b. fejervavyi dont la validité est discutée (Böhme & al. 2007).

 

Ce grand lézard est essentiellement présent au centre et au sud de la France. Contrairement à Lacerta agilis qui est une espèce nordique se raréfiant vers le sud de la France, L. bilineata est plus abondant dans la partie sud et se raréfie vers le nord. Il devient rare en bordure nord d’une ligne allant de la Bretagne au sud de la Franche-Comté et est totalement absent du Nord-Pas de Calais ainsi que de la Somme, des Ardennes et de la Lorraine. A noter qu’il est absent de Corse. En Alsace, une petite population vit dans les collines calcaires du piémont des Vosges, au centre et sud de la région, là où sont également implantés les grands vignobles alsaciens. Il est certes moins méridional que Timon lepidus, puisqu'il fréquente aussi les régions au climat océanique, toutefois il a des besoins en chaleur plus élevés que d'autres espèces comme Podarcis muralis.

 

Dans la partie nord de sa répartition c'est une espèce essentiellement de plaine, en Bretagne par exemple, il est clairement absent des monts d'Arrée, pourtant peu élevés. Pareil dans les Vosges où il n'est présent que dans des habitats très spécifiques, exposés au sud et situés entre 200 et 400 m d'altitude. Dans la partie nord, il recherchera d'avantage les coteaux calcaires, les landes et autres terrains secs et bien exposés.

 

Dans le sud, il est plus ubiquiste et monte plus volontiers en altitude. Les habitats rocheux de montagne lui offrent des zones dégagées et ensoleillées favorables. Il n’est toutefois plus observé au-dessus de 1 700 - 1 900 m dans les Alpes ou dans Pyrénées. Dans le Massif Central, il a été observé jusqu'à 1240 m. Dans le Jura, la limite se situe à 800 m.

 

C’est une espèce qui aime le soleil et recherche donc des habitats ouverts, étant totalement absent des sous-bois. En revanche, les lisières et zones dégagées par des coupes récentes sont plus favorables. Il apprécie les zones rocailleuses, toutefois, il évite les zones exclusivement rocailleuses, préférant les habitats riches en végétation dense, buissonnante et épineuse dans lesquelles il se camoufle très bien. Il affectionne donc les landes, les garrigues, les friches encore vierges de grands arbres, les lisières de forêts, le talus couverts de ronces… Plus farouche que le Lézard agile (L. agilis) ou le Lézard des murailles (Podarcis muralis), il est moins présent près des habitations mais on peut tout de même l’observer dans les grands jardins tranquilles et « sauvages ».

 

Côté comportement, on note des similitudes avec le Lézard ocellé, notamment dans son côté farouche mais non dénué de caractère. Il a en effet la réputation de mordre celui qui le saisi et de ne pas lâcher prise comme son grand cousin ! Une croyance populaire dit que pour l‘attraper il faut lui jeter une pièce, qu’il va mordre fortement sans lâcher, et qu’ainsi il ne mordra plus la main qui le saisi… Ce n’est certainement pas vrai, mais il n'hésite pas à mordre si on le saisi et sa morsure reste désagréable à douloureuse, même s'il lâche rapidement prise. Vous n’en ferez jamais l’expérience car cette espèce est protégée, il est interdit par la loi de les capturer même pour une expérience masochiste !

 

C’est un reptile essentiellement terrestre et diurne mais il est parfois observé grimpant dans les arbustes. Il n'est pas toujours facile de le voir vue sa coloration qui se fond bien dans la végétation. De plus, il est vigilant et vous aura vu avant que vous ne le voyiez. Sa fuite dans les broussailles à l’approche d'un humain se fait généralement bien entendre et trahit sa présence. Il s’expose en général assez longtemps au soleil du matin pour que sa température interne atteigne son optimal qui se situe à 32-33°C, sa température minimale d’activité est de 15°C. Comme beaucoup de lézards, la météo conditionne son activité journalière. Il peut ne pas du tout se montrer les jours de pluie, et les jours ensoleillées va plutôt sortir en milieu de matinée (9-11h) ou plus tôt en été (dès 8h) puis après les fortes chaleurs de l’après-midi (après 15-16h). Le matin reste le moment idéal. Le printemps est également la meilleure période pour le voir, non seulement parce que les mâles sont en pleine recherche de femelle et de défense de leur territoire, mais aussi parce qu'il va s'exposer plus longuement au soleil, la température à l'ombre étant encore assez faible. Ainsi, sur la côte de Mancy dans le Jura, à basse altitude (200-400 m), 72% des observations ont été faites en avril, 25% en mai, 3 % en juin (Blin 2010).

 

C’est un prédateur d’arthropodes, mais il consomme aussi des fruits très sucrés voire de petits vertébrés (petits lézards, très jeunes rongeurs). Dans une étude menée en Italie, Angleici & al. (1997) ont analysé les selles et contenus stomacaux de 107 adultes de L. bilineata et découvert essentiellement des restes d'isopodes et de coléoptères, dans une moindre mesure des hyménoptères et des orthoptères (moins de 7%). Sur les 318 échantillons, seuls 5 contenaient des restes d'autres vertébrés (deux espèces de lézards : Chalcides chalcides et Podarcis siculus). Du côté des juvéniles, les orthoptères sont largement les plus présents, puis les araignées et les hémiptères (12% chacun).

 

Comme la plupart des espèces de milieu tempéré, il est inactif en hiver, émergeant d’hibernation en mars-avril. Le Lézard vert va rester caché durant tout l'hiver même si le soleil pointe le bout de son nez et qu'il y a un radoucissement alors que d'autres espèces comme le Lézard des murailles peuvent ponctuellement sortir en de telles occasions. Les mâles émergent souvent plus tôt que les femelles (deux semaines avant en moyenne). Ce sont des animaux casaniers, comme beaucoup de lézards : une fois établi sur un territoire, ils n'en bougent pas... sauf s'ils s'en font déloger ! Ce territoire peut s’étendre sur 200 à 600 m² voire 1200 m² soit un carré de 14 à 35 m de côtés. La densité peut localement être forte malgré l'intolérance entre spécimens. Ainsi, sur un chemin de halage bordant le canal de Nantes à Brest (Loire-Atlantique), Saint-Girons et Bradshaw (1989) ont noté une densité élevée jusqu'à 194 lézards sub-adultes ou adultes par hectare. Lors de la période d'accouplement l'activité du mâle est intense, il en oublie même de s’alimenter ! Les mâles s'affrontent violemment en cette période, ces combats peuvent même être mortels. Comme l'écrit Jacques Fretey (1987), ils se battent comme des chats: soulevant leur corps, courbant le dos, tête baissée... puis se sont les morsures, chaque belligérant tentant d'arracher des lambeaux de chair à l'autre.

 

Les accouplements se déroulent en avril-mai. Ils sont violents comme souvent chez les lacertidés : la femelle est fortement agrippées par le mâle qui lui mord les flancs. Les femelles s'accouplent avec plusieurs mâles et inversement. Le mâle pratique néanmoins le « mate guarding », c’est à dire qu'il reste aux côté de la femelle pendant quelques jours après l'accouplement, pour semble-t-il s'assurer qu'il sera le seul géniteur. On peut ainsi observer en avril-mai, des couples collés les uns aux autres. En mai et juin, la femelle dépose ses oeufs en général sous une pierre, une souche ou dans un trou qu’elle creuse à condition que le sol soit meuble. Il peut y avoir une seconde ponte un peu plus tard en juin. Le nombre d’œufs est très variable, le maximum étant de 53, mais on compte plus classiquement entre 5 et 15 par ponte. Les juvéniles ne mesurent que 3 à 4,5 cm à l’éclosion, ils atteignent leur maturité sexuelle en général au second printemps, voire au troisième. Ils se nourrissent de très petits insectes, notamment de fourmis.

 

On observe aussi parfois le gros Lézard vert en compagnie étroite d’autres espèces de lacertidés plus petites comme le Lézard des murailles (Podarcis muralis) ou le Lézard des souches, en particulier tôt le matin quand les reptiles cherchent à augmenter leur température interne. En revanche, il ne fait pas bon ménage avec le lézard ocellé, ce dernier semblant avoir le dessus en cas de concurrence.

Photo: Couple de L. bilineata (le mâle est à gauche, la femelle à droite) en comagnie d'un Lézard des murailles (Podarcis muralis). (Photo:  Benchaum)

 

Malgré sa taille et sa morsure légendaire, bien qu’en réalité elle soit inoffensive, le Lézard vert a de nombreux prédateurs. Les juvéniles sont chassés par toutes sortes d’animaux, y compris des insectes comme les mantes religieuses mais aussi par d’autres lézards ainsi que de nombreux serpents comme la Coronelle (Coronella spp.) ou les vipères. Les adultes sont surtout victimes d’oiseaux comme les corvidés ou les rapaces tels le Faucon crécerelle et surtout le Circaète Jean-le-blanc spécialisé dans la chasse aux reptiles. Ils sont aussi la proie régulière de grandes couleuvres et vipères, parfois aussi de renards et autres petits prédateurs à poils dont le chat domestique. Dans la nature, il vit en général moins de dix ans, le record de longévité étant de 16 ans.

 

Les liens avec l’Homme sont très différents d’une région à l’autre. Certaines croyances le montrent comme un animal maléfique, qui porterait malheur ; d’autres, comme en Italie, en font une « bête du bon dieu » qu’il faut laisser tranquille. Mais ce qui porte le plus préjudice à cette espèce c’est la destruction de son habitat : urbanisation, destruction de haies, des zones en friche mais aussi reconquête de la forêt due à la déprise agricole dans certains régions (en montagne notamment). Mis à part à la limite nord de sa répartition où il semble reculer par endroits, le Lézard vert n’est pas une espèce menacée. Elle est tout de même considérée comme « à surveiller » donc sensible. Comme beaucoup de lézards c’est un bon indicateur de la qualité d’un habitat : prédateur très sédentaire, sa disparition soudaine d’une localité peut laisser supposer un problème. Le réchauffement climatique pourrait lui permettre de remonter vers le nord, à condition de trouver des habitats favorables... ce qui n'est pas évident du tout !

 

L’espèce est protégée en France, elle est en annexe II de la convention de Berne et en annexe IV de la directive européenne Habitats-Faune-Flore. Sa destruction, sa capture, le commerce de spécimens capturés dans la nature sont interdits. Son élevage en France est réservé aux seuls titulaires du certificat de capacité à condition d’acquérir des spécimens légalement importés ou légalement nés en captivité et disposant d’un transpondeur. On peut malheureusement trouver sur internet des annonces vendant des lézards manifestement capturés en milieu naturel : n’hésitez pas à signaler ces annonces à l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune sauvage).


 

Références :

Angelici F. M., Luiselli L. & Rugiero L. 1997. Food habits of the green lizard, Lacerta bilineata, in central Italy and a reliability test of faecal pellet analysis, Italian Journal of Zoology, 64:3, 267-272.

 

Blin A. 2010. Suivi d'une population de Lézard vert, Lacerta bilineata, sur la Réserve Naturelle Régionale de la Côte de Mancy. Rapport de stage BTA-GFS. http://www.reservenaturelle.fr/upload/rapport2009complet.pdf

 

Lescure J. & De Massary C. 2013. Atlas des Amphibiens et des Reptiles de France. Editions Biotopes.

 

Böhme, M.U.; Fritz, U.; Kotenko, T.; Dzukic, G.; Ljubisavljevic, K.; Tzankov, N. & Berendonk, T.U. 2007. Phylogeography and cryptic variation within the Lacerta viridis complex (Lacertidae, Reptilia). Zoologica Scripta 36 (2): 119–131

 

Saint Girons, H. et Bradshaw, S.D. 1989. Sédentarité, déplacements et répartition des individus dans une population de Lacerta viridis (Laurenti, 1768) (Lacertilia, Lacertidae). Bijdragen tot de Dierkunde 59 :63-70.

 

Saint Girons, H., Castanet, J., Bradshaw, S.D. et Baron, J.P. 1989. Démographie comparée de deux populations françaises de Lacerta viridis (Laurenti, 1768). Revue Ecologie (Terre et Vie) 44 : 361-386

 


Vacher J-P & Geniez M. 2010. Les Reptiles de France, Belgique, Luxembourg et Suisse. Editions Biotopes.

 


Vacher J-P & Thiriez J. 2010. Atlas de répartition des amphibiens et Reptiles d'Alsace. BUFO.

 


www.reptile-database.org


http://inpn.mnhn.fr/


www.batraciens-reptiles.com



*: Sur la validation du taxon Lacerta bilineata et la révision du genre Lacerta voir : Amann, Toni; Rykena, Silke;Joger, Ulrich;Nettmann, Hans Konrad;Veith, Michael 1997. Zur artlichen Trennung von Lacerta bilineata Daudin, 1802 und L. viridis (Laurenti, 1768). Salamandra 33 (4): 255-268

Rykena, S. 1991. Kreuzungsexperimente zur Pru?fung der Artgrenzen im Genus Lacerta sensu stricto. Mitt. Zool. Mus. Berlin 67, 55–68





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