La famille des Lacertidés
 
Vincent NOËL.
 

Lézard des murailles (Podarcis muralis) .

En se promenant en lisière de forêt, dans une tourbière, près d’un talus ou dans la garrigue, il n’est pas difficile de croiser de petits lézards au corps fin, à la longue queue, de couleur brune ou verte, qui prennent leur bain de soleil et s’enfuient à votre approche. Lézard vert occidental, Lézard vivipare, Lézard des murailles, Lézard agile… On peut observer ces petits ou gros lézards partout sans grand effort. Ils ont comme point commun d’être de la même famille : celle des lacertidés, la plus importante famille de lézards d’Europe. Rien qu’en France, 14 des 20 espèces de lézards sont des lacertidés.

Toutefois, l’Europe n’a pas le monopole des lacertidés, loin de là ! Cette famille comprend plus de 320 espèces qui vivent également en Afrique (sauf Madagascar) et en Asie. L’essentiel des espèces asiatiques se situent au proche et Moyen-Orient, depuis l’Iran jusqu’en Turquie. L’Asie tropicale compte très peu d’espèces, principalement celles du genre Takydromus. La limite orientale de répartition des lacertidés se situe au Japon, où vivent quelques espèces du genre Takydromus mais aussi, Zootoca vivipara : le Lézard vivipare que l’on trouve aussi en France. Ce petit saurien a ainsi conquit presque toute l’Europe et l’Asie tempérée, il est même présent au-dessus du cercle polaire, en Norvège ; c’est un des rares reptiles à vivre dans les régions boréales.

Les lacertidés furent longtemps classés au sein du groupe des scincomorphes, en compagnie des scincidés. Mais avec les études menées depuis 2004 par Townsend, Vidal, Hedges et Pyron, les scientifiques se sont aperçu que scinques et lacertidés n’étaient pas de proches parents. Les scincidés sont restés au sein des scincomorphes, mais un nouveau groupe a été créé pour les lacertidés : les latérates. Ce groupe comprend aussi les amphisbéniens et les teioïdes (tégus, gymnophtalmes…). Le groupe frère des lacertidés est celui des amphisbéniens : des reptiles sans pattes, vermiformes et à l’allure bien étrange dont la position au sein de la classification des squamates a donné la migraine à des générations de systématiciens.

Lacerta bilineata, gravure publiée dans l'ouvrage de Sternjfeld (1919)

Il y a deux sous-familles de Lacertidés (Selon Arnold & al. 2007):
  • Les gallotinés ne comprennent que les genres Psammodromus (sud de l’Europe et Afrique du nord) et Gallotia (îles Canaries).
  • Les lacertinés rassemblent tous les autres genres. Cette sous-famille est divisée en deux tribus : celle les Lacertini qui se compose essentiellement des espèces du paléarctique, et celle les Eremiadini qui comprend surtout des espèces africaines ainsi que quelques espèces du Moyen-Orient et du sud-est de l’Europe.
  • Jusque dans les années 1990, la plupart des espèces du paléarctique occidental furent classées dans le genre Lacerta, puis elles furent reclassées dans de nombreux genres distincts : Lacerta muralis devint Podarcis muralis ; Lacerta vivipara fut intégré dans un genre rien qu’à lui, le genre Zootoca ; Lacerta lepida fut nommé Timon lepidus ; Lacerta monticola intégré au genre Iberolacerta… On voit aussi apparaitre les genres Hellenolacerta, Dinarolacerta, etc. Aujourd’hui, le genre Lacerta ne comprend plus que 9 espèces.
     
  • A quelques exceptions près, les lacertidés vivent dans des milieux ouverts et ensoleillés, souvent secs. On les rencontre peu en forêt sauf sur les abords des chemins ou dans les clairières. Certains sont franchement désertiques comme les espèces du genre Meroles qui pratiquent une bien étrange danse sur le sable : pour réduire le contact avec le sable brulant, le lézard se tient alternativement sur deux pattes au lieu de quatre. Il alterne avec un appui sur la patte antérieure droite et la patte postérieure gauche, restant ainsi quelques secondes, puis un appui sur la patte antérieure gauche et la patte postérieure droite. Les pattes n’étant pas au contact au sol sont levées le plus haut possible, la queue restant également en l’air.
     
    Takydromus sexlineatus

    Ce sont des lézards diurnes et essentiellement terrestres. Toutefois, ils sont agiles et aiment grimper sur les rochers et même les arbustes avec d’importantes variables selon les espèces : Si Lacerta agilis – qui porte assez mal son nom – reste la plupart du temps au niveau du sol, s’élevant parfois sur une souche ; le lézard des murailles, lui, peut grimper sur les édifices rocheux et les ruines à des hauteurs qui donnent le vertige, s’y déplaçant avec agilité même sur les parois verticales. Lacerta bilineata est régulièrement observé dans les branchages des buissons ou même sur des troncs, alors que Zootoca vivipara reste sur le plancher des vaches. Takydromus sexlineatus est plus « aérien », il évolue dans la végétation basse et notamment les grandes herbes avec une grande habileté. Quant aux africains Holaspis spp. et Gastropholis spp., ce sont les rares espèces véritablement arboricoles. Holaspis spp. peut également sauter d’un arbre à l’autre en planant sur plusieurs dizaines de mètres.

    Leurs pattes sont bien développées, et la régression des membres ou l’apodisme, n’existe pas chez les Lacertidés alors que c’est un phénomène fréquent chez d’autres groupes de lézards comme les scinques ou les anguidés. Il y a une certaine homogénéité dans leur morphologie, un peu comme chez les varans : un corps fin, une tête triangulaire au museau allongé, des pattes pourvues de longs doigts, une queue fine et longue, l’absence de toutes crêtes, fanons et autres cornes ou épines.

    Les écailles des lacertidés sont de forme arrondie, rectangulaire, parfois pointues sur le bord extérieur (ex : Psammodromus spp.) donnant un aspect légèrement épineux. Elles sont alignées en rangées transversales. Un pli longitudinal sépare les flancs des larges écailles ventrales rectangulaires. La tête est couverte de larges écailles dont la cartographie peut servir de critère de détermination pour certaines espèces ou sous-espèces. Leur langue est courte et bifide comme celle de l’orvet. Ils possèdent tous des paupières mobiles excepté les Ophisops dont les paupières sont fixes.
    Podarcis siculus, on voit bien les larges écailles de la tête.

    Ce sont généralement de petits lézards mesurant 20-25 cm de longueur totale. La queue représente les deux tiers voir les trois quart de leur longueur totale. Chez les espèces asiatiques du genre Takydromus, la queue est particulièrement longue. C’est en Europe du sud, en Afrique du nord et aux îles Canaries, au sein des genres Timon et Gallotia, que l’on trouve les plus grandes espèces. Timon lepidus peut atteindre 70-75 cm de longueur totale, avec une longueur museau-cloaque de 21 à 24 cm et un poids de 345 grammes maximum. Gallotia stelhini est le plus grand de ce genre endémique des îles Canaries et même de sa famille : les plus grands spécimens peuvent atteindre 80 cm (jusqu’à 27 cm de LMC) et peser jusqu’à un kilogramme.

    Les deux couleurs dominantes chez les lacertidés sont le brun et le vert. Les motifs sont souvent composés de lignes longitudinales et/ou d’ocelles et de petites tâches. Chez un certain nombre d’espèces on observe au niveau des flancs  des tâches circulaires bleues, souvent iridescentes. Elles sont davantage développées, voire uniquement présentes, chez les mâles. Le lézard des murailles possède ainsi une série de petites tâches bleues derrière les pattes antérieures. Elles recouvrent tous les flancs chez le très beau lézard ocellé ainsi que chez Gallotia galloti, dont la coloration sombre, presque noire, des mâles les font particulièrement bien ressortir. Ces tâches reflètent les rayons UV auxquels l’œil des lézards est sensible, elles seraient un indicateur de la bonne santé du mâle ce qui conditionne l’acceptation ou le refus de la femelle de s’accoupler avec.
    Magnifique coloration de ce lézard géant des îles Canaries (Gallotia galloti)
    Ce sont de petits reptiles agiles, toujours aux aguets, fuyant à toute bringue quand on s’approche de trop près même s’ils peuvent mordre quand on les attrape : ceux qui un jour ont laissé leur doigts entre les mâchoires ouvertes d’un Lézard vert ou d’un Lézard ocellé en gardent un douloureux souvenir ! Comme bien d’autres lézards, ils pratiquent l’autotomie pour échapper aux prédateurs : le lézard sacrifie sa queue pour se sauver. Dans la nature, il est courant de voir des lézards n’ayant plus de queue entière.

    La plupart des lacertidés sont insectivores. Ils chassent les insectes qui passent à leur portée. Nucras tesselatus, originaire du désert du Kalahari, a une alimentation spécialisée et chasse surtout des scorpions. Rares sont les espèces omnivores, même s’il a été observé de petits lézards léchant des fruits mûrs tombés au sol ou ingérant des baies sucrées. Les véritables cas de régime omnivore sur le long terme, avec une part végétale variable selon les localités, la taille de l’animal et les saisons, s’observent chez les grandes espèces du genre Gallotia et, très localement, chez Timon lepidus notamment la population de l’île d’Oléron.
    Nucras tesselatus. Photo: Handré Basson - Wikimedia commons

    Les mâles sont généralement plus grands et plus massifs que les femelles. Dans de nombreux cas, ils ont une coloration différente, souvent plus vive. Dans les milieux tempérés, les accouplements ont lieu au printemps, peu après la sortie d’hibernation. Les mâles sont rarement tendres avec les femelles, ils la saisissent en lui mordant les flancs, la nuque ou la tête pour l’immobiliser. Certains pratiquent le « mate guarding » : le mâle reste près de la femelle quelques jours pour s’accoupler plusieurs fois avec elle et s’assurer qu’aucun autre mâle ne vienne le faire… cocu ! Mais ce stratagème à ses failles, des analyses ADN ayant montré que les jeunes n’ont pas toujours le même père.

    Tous les lacertidés sont ovipares, mis à part le Lézard vivipare, qui – je vous le donne en mille – est vivipare ! La viviparité a permis à cette espèce de survivre dans les régions froides où l’été est court et insuffisamment chaud pour que des œufs enfouis dans le sol arrivent à terme : la femelle fait office d’incubateur vivant. Lacerta agilis est également présent dans des régions tempérées plutôt froides, sans pour autant monter aussi loin au nord que son cousin. Il a développé une stratégie intermédiaire : il est ovipare certes, mais la femelle pond ses œufs plus tardivement que les autres espèces, les gardant le plus longtemps possible dans le corps, ce qui permet d’accélérer leur développement. On compte aussi 8 espèces parthénogénétiques au sein du genre Darevskia : les femelles se reproduisent sans accouplements.

    Sur les 322 espèces de lacertidés, 19 sont en danger d’extinction dont 11 en danger critique d’extinction. C’est beaucoup. Il s’agit surtout d’espèces vivant dans le bassin méditerranéen et aux îles Canaries, des régions colonisées par la civilisation depuis des millénaires. On y trouve surtout des espèces des genres Gallotia,  Podarcis, Acanthodactylus ou Iberolacerta. En France, les plus menacés sont les lézards pyrénéens du genre Iberolacerta. Le Lézard ocellé est considéré comme « vulnérable » et le Lézard des souches, il y a encore peu considéré comme commun et non menacé est passé en catégorie « quasi-menacée » : la faune française va mal, qu’on se le dise !
    Lacerta agilis.

    Ce sont surtout les espèces insulaires qui paient le prix de la présence d’Homo sapiens. Deux principaux facteurs sont en cause : la destruction des habitats et  l’introduction de prédateurs exogènes, les rats bien entendu mais aussi l’un des plus redoutables : Felis silvestris catus, le chat domestique ! D’autres lacertidés comme Podarcis siculus qui a des tendances « dominatrices », peuvent mener une concurrence fatale aux espèces endémiques.

    Aux îles Canaries, quatre des huit espèces du genre Gallotia sont en danger critique d’extinction : G. symnoyi (El Hierro), C. bravoana (La Gomera), G. intermedia (Ténérife) et G. auaritae (La Palma). Certaines furent considérées comme éteinte pendant des décennies, mais ont été redécouvertes récemment : En 1974 le Lézard Géant d’El Hierro (G. symonyi) fut redécouvert sur les falaises escarpées de l’île, de même pour G. bravoana en 1999 sur l’île de La Goméra. G. auaritae n’a plus été revu depuis très longtemps, certains pensent que l’espèce est éteinte même si des photographies récentes faites à La Palma montrent de gros lézards lui ressemblant. Quant à G. intermedia, elle n’est connue que depuis 1996 et ocuupe une minuscule aire de répartition. Ces îles, pourtant colonisées depuis des siècles et aujourd’hui envahies de touristes gardent encore leurs mystères…

     
    Références :

    Arnold, Arribas & Carranza, 2007 Systematics of the Palaearctic and Oriental lizard tribe Lacertini (Squamata: Lacertidae: Lacertinae), with descriptions of eight new genera Zootaxa, n. 1430, p. 1–86.

    Anorld N. & D. 2002. Ovenden. Le guide herpéto (2de édition). Delachaux & Niestlé.

    Lecointre G. et H. Le Guyader 2013. La classification phylogénétique du vivant tome2. Belin

    Lescure J. et C. De Massary 2013. Atlas de répartition des amphibiens et Reptiles de France. SHF/Biotope.

    Pianka E. R. & L. J. Vitt. 2004. Lizards : Windows to the evolution of diversity. Univeristy of California Press

    Spawls S. et al. 2004. Reptiles of East Africa. A & C Black

    Vacher J-P & P. Geniez 2010. Les reptiles de France, Belgique, Luxembourg et Suisse. Biotope.
     
    https://fr.wikipedia.org
    http://reptile-database.reptarium.cz
    www.iucnredlist.org

    Cet article est libre de droits de diffusion si conservé en l’état avec liens vers http://tiliqua.wifeo.com.

    Tiliqua, le monde des lézards, ISSN 2118-5492
    Mis en ligne le 3 juillet 2016.
     

    Acanthodactylus schreibersi



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