Podarcis siculus (Rafinesque-Schmalz 1810)
le Lézard des ruines.
Le Lézard des ruines est une petite espèce de Lacertidé du genre
Podarcis et dont le nom commun rappelle le Lézard des murailles. Toutefois, si il peut facilement y avoir confusion entre
Podarcis muralis et
Podarcis liolepis,
Podarcis siculus est facilement reconnaissable à sa teinte verte sur le dos et la tête. Il est également légèrement plus grand que ces deux autres espèces, pouvant mesurer jusque 26 cm de longueur totale et 9 cm de longueur museau-cloaque.
Autre différence avec
Podarcis muralis, le Lézard des ruines est une espèce typiquement méridionale, on ne la rencontre qu’en région méditerranéenne notamment en Italie et en Dalmatie mais aussi à Chypre, enTurquie (environs du détroit du Bosphore et l'ouest de l'Anatolie), en Tunisie et quelques localités espagnoles... Beaucoup de ces populations ont sans doute été introduites il y a longtemps. Sa présence en France n’est pas non plus naturelle, les populations présentes notamment en Corse et qui y prospèrent ont été introduites par l’Homme. L’essentiel des populations corses sont de la sous-espèce
P. s. campestris et sont originaires de Toscane. Au sud de l’île de beauté, on rencontre également
P. s. cetti qui provient de Sardaigne. L’introduction de
P. s. campestris est ancienne elle remonterait à l’antiquité, celle de
P. s. cetti daterait du XIXème siècle voire plus tôt (Vacher & Geniez 2010). Sur le continent les populations – également introduites – sont encore très localisées, certaines ayant été signalées à une époque mais n’ont pas fait souche. Une des plus anciennes populations est celle de l’île du Château d’If, observée depuis 1883. D’autres, plus récentes, ont été signalées par exemple à Hyères dans une pépinière d’olivier en provenance d’Italie.
L’observation de cette espèce dans le sud de la France est une information importante à transmettre rapidement (avec photos) aux associations naturalistes ou à la Société Herpétologique de France.
Ce petit lézard a en effet des tendances envahissantes : très adaptable, « dominateur », il prospère dans tous types de milieux méditerranéens et a tendance à supplanter les autres espèces. En Corse par exemple, la progression de cette espèce est très rapide, 200 m par an selon une étude menée dans la vallée du Fango (Vacher & Geniez 2010).
P. siculus entre en concurrence avec l’espèce endémique de l’île :
Podarcis tiliguerta. Des cas d’hybridation entre ces deux espèces ont été révélés en Sardaigne. Il a également été introduit sur de nombreuses autres îles de Méditerranée mais aux Etats-Unis, au sud de la Californie, à Philadelphie par exemple où la souche semble s’être éteinte, mais aussi à Long Island, près de New York… des régions nord-américaines baignées par un climat pourtant continental et pouvant essuyer de très rudes hivers ; l’espèce s’adapterait-elle aussi à d’autres climats que la douceur méridionale ?
En Italie, où il est naturellement présent, c’est une espèce commune que l’on observe un peu partout y compris dans les jardins et sur les murs des maisons. Il est peu farouche, facile à observer et à photographier comme l’est le lézard des murailles.
Répartition européenne de P. siculus (source: wikimedia commons) Les capacités d’adaptation de ce lézard ont été démontrées par une expérience menée sur l’île de Pod Mrcaru. Cette très petite île de seulement 0.03 km² au large de la Croatie n’était habitée que par
Podarcis melisellensis. Sur une île voisine légèrement plus grande, Pod Kopiste, la même espèce cohabitait avec
P. siculus. En 1973, des scientifiques capturent 10 spécimens (5 couples) de
P. siculus de Pod Kopiste et les introduisent sur Pod Mrcaru. Les spécimens survivent et commencent à se développer, faisant rudement concurrence à
P. melisellensis. Mais l’expérience dû rapidement cesser, les autorités yougoslaves interdisant l’île aux chercheurs. En 1990, la Croatie, la Serbie puis les autres pays des Balkans se lancent dans une guerre pitoyable (pléonasme) qui durera une dizaine d’années. On oublie donc Pod Mrcaru… Mais en 2004, la paix régnant depuis quelques années, des chercheurs ont l’occasion de retourner sur cette petite île et surprise* :
P. siculus a totalement supplanté
P. melisellensis qui a donc disparue, preuve des capacités invasives du Lézard des ruines. Mais ce n’est pas tout, car en étudiant l’anatomie de ces lézards ils se sont aperçu qu’elle a changé et de manière importante. Une sélection naturelle s’est opérée en raison de la concurrence alimentaire. Les ressources en insectes étant trop faibles, ces lézards sont devenus omnivores et selon les saisons, leur alimentation comprend une importante part de feuillages. Toutefois, les végétaux posent problème pour être digéré surtout par une espèce fondamentalement insectivore. Du coup, des spécimens ayant une tête plus massive, donc des muscles des mâchoires plus puissants et un colon disposant de cloisons comme chez les végétariens ont été sélectionnés et avantagés… Bref, l’évolution en temps réel !
Comment le reconnaître ? P. siculus est un petit lézard svelte, sa coloration de fond est brune avec motifs foncé et une coloration verte sur la partie supérieure du corps dont l’étendue est variable la sous-espèce. Comme on le remarque chez
P. tiliguerta et
P. muralis, indépendamment de la sous-espèce, il y a de fortes différentes de coloration et de motifs selon les spécimens. On observe souvent des points bleus au bas des flancs ainsi qu’une tache bleue au-dessus de l’épaule. La queue et les pattes postérieures sont toujours brunes, le bassin souvent. Chez
P. s. campestris, la coloration verte s’observe sur le dos uniquement, pas sur les flancs. Cette coloration verte se prolonge souvent, du moins chez les mâles, sur la tête jusqu’aux narines mais est absente sur les côtés de la tête. Le dos est marqué par une ligne discontinue et irrégulière brune à noire, une autre sur les flancs marquant la limite de la coloration verte. Les lèvres sont blanches. Chez
P. s. cetti, en plus de motifs brun foncés à noir plus largement répartis sur le dos et les flancs, la coloration vert descend vers les flancs, envahi les pattes antérieures et les côtés du crâne ainsi que les lèvres supérieures.
On pourrait confondre le lézard des ruines avec le lézard vert, mais ce dernier est bien plus grand, plus massif et n’arbore pas de motifs comparables à ceux de
P. siculus. La confusion avec
P. liolepis ou P. muralis est possible, surtout avec des femelles de
P. siculus qui ne montrent pas de coloration verte. A noter que certains
P. liolepis montrent aussi une teinte verte, mais assez discrète. Toutefois, notez que ni
P. muralis, ni
P. liolepis ne sont présentes en Corse, ce qui permet donc d’éliminer cette confusion sur l’île. Sur le continent c’est plus compliqué. Les bandes vertes bien marquées sur le dos de la plupart des mâles de
P. siculus campestris les rendent facilement identifiables, en revanche, une détermination fiable des femelles ou de juvéniles est affaire d’herpétologues confirmés (examen de l’écaillure).
P. siculus et notamment
P. s. cetti, est très proche de
P. tiliguerta, une espèce endémique de Corse, ces deux espèces se côtoyant donc. Toutefois, il est assez aisé de les distinguer, en
effet P. tiliguerta montre une coloration verte répartie sur tout le corps, et notamment sur la queue, qui est brune chez
P. siculus. Les motifs dorsaux de
P. tiliguerta sont plus marqués que chez
P. siculus, enfin, la gorge est marquée de tâches sombres chez
P. tiliguerta, elle est immaculée chez P. siculus. Là encore, tous les
P. tiliguerta ne montrent pas une coloration verte très marquée surtout les femelles qu’on peut donc confondre avec celles de
P. siculus.
P. siculus peut aussi être confondu avec une autre espèce endémique de Corse :
Archaeolacerta bedriagae. Ce dernier se reconnait à son œil entièrement noir, alors que l’iris de
P. siculus est orange-rouge. De plus, le Lézard de Bedriaga ne montre pas de lignes mais des motifs réticulés foncés sur une grande surface, sa silhouette est également différente, le corps est plus aplati, le museau plus fin. A noter aussi l’absence de plaque mésentérique chez
A. bedriagae, celle-ci étant bien développée chez de nombreuses espèces du genre
Podarcis (la plaque mésentérique est une grosse écaille située entre l’oeil et l’oreille externe, bien visible au milieu de très petites écailles). Un détail de l’écaillure du museau permet aussi de distinguer
A. bedriagae des espèces du genre
Podarcis : l’écaille rostrale monte vers l’arrière et touche la frontonasale, alors que chez
Podarcis ssp., elle ne remonte pas autant en arrière et ne touche pas la frontonasale (qui sont séparées par les prénasales).
Vie dans la nature : Le lézard des ruines est un lézard diurne, vif, qui affectionne les endroits rocailleux et ouverts. Il préfère les zones de basse altitude, moins de 700 m même si des individus ont été observés jusqu’à 1300 m. Il n’entre ainsi plus en compétition avec
P. tiliguerta dans les zones d’altitude puisque l’espèce endémique est présent jusqu’à 1800m. De même pour le Lézard de Bedriaga qui est une espèce d’altitude. Ces deux espèces endémiques vont-elles devenir des montagnards car chassés vers les hauteurs par ce petit envahisseur ?
L’espèce passe par un repos hivernal d’octobre à mars, même s’il sort régulièrement les jours ensoleillés. La saison de reproduction se déroule au printemps et jusqu’en juillet. Le nombre de pontes est de 2 à 3 par an, le nombre d’œufs se situe entre 4 et 7.
L’espèce est divisée en de très nombreuses sous-espèces, dont beaucoup sont insulaires. Henle & Klaver (in Uetz) mentionnent plus de 52 sous-espèces, dont 47 insulaires. Arnold & Ovenden (2002) mentionnent environ 48 sous-espèces. Mais il est fort probable que beaucoup d’entre elles sont des synonymes et ne sont plus valides.
Vincent NOËL - http://tiliqua.wifeo.com
* : Herrel, Huyghe, Vanhooydonck, Backeljau, Breugelmans, Grbac, Van Damme et Irschick, 2008 :
Rapid large-scale evolutionary divergence in morphology and performance associated with exploitation of a different dietary resource.
Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 105, n
o 12, p. 4792-4795 – voir aussi dans (l’excellent) « guide critique de l’évolution » de Guillaume Lecointre (paru chez Belin), pages 354-355.
Sources: Arnold N. & D. Ovenden 2002. Le guide herpéto. Delachaux & Niestlé.
Lescure J. & De Massary C. 2013. Atlas des Amphibiens et des Reptiles de France. Editions Biotopes.
Uetz - http://reptile-database.reptarium.cz (consulté en jan. 2014)
Vacher J-P & Geniez M. 2010. Les Reptiles de France, Belgique, Luxembourg et Suisse. Editions Biotopes.
www.wikipedia.org
Ouvrage concernant l'herpétofuane de Corse: Atlas de répartition des amphibiens et reptiles de Corse. Auteurs : Michel Delaguerre & Marc Cheylan (1992). Editeurs : Parc Naturel Régional de la Corse & Ecole Pratique des Hautes Etudes. ISBN 2-905468-09-2
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