Théorie vs pratique.


Publié dans Reptil’mag n°68 (Mai 2017)

La terrariophilie n’est pas une « science exacte », dans le sens où en répétant exactement une procédure, on n’obtient pas forcément le même résultat. Et certains éleveurs peuvent se retrouver perdus ou critiques vis-à-vis de la littérature « généraliste ».

« La réalité ne pardonne pas une seule erreur à la théorie » disait Trotsky. Certains éleveurs reprendraient volontiers la phrase du légendaire révolutionnaire russe, critiquant les publications en constatant un écart entre ce que la « théorie » énonce et ce que l’expérience leur a montré. Toutefois, un écueil est à éviter : confondre et mélanger cas particuliers et cas généraux.

Certains amateurs constatent par exemple que leurs animaux se reproduisent dans des conditions différentes de ce que la littérature décrit. A partir de cette expérience, ils considèrent que la « théorie » ne correspond pas à la réalité et font de leur seule expérience une généralité. D’autres terrariophiles se retrouvent parfois en difficulté avec leur animal alors qu’ils appliquent à la lettre les préconisations lues dans la documentation ne comprenant pas pourquoi ça ne marche pas. C’est normal : un animal n’est pas un appareil électronique où il suffit de lire le mode d’emploi pour que ça fonctionne. Le vivant est par nature variable, flexible, évolutif : que ce soit sous l’influence de ses gènes ou de l’environnement dans lequel il vit ou a vécu par le passé, chaque animal aura un comportement plus ou moins différent. Ainsi, le terrariophile tient davantage du jardinier que de l’électronicien. Planté dans les mêmes conditions que chez le voisin, un rosier ne donnera pas les mêmes résultats ; maintenu dans les mêmes conditions que le voisin, un agame barbu ne se comportera pas de la même manière.

Décrire – dans un article généraliste par exemple – le comportement d’une espèce ou d’un groupe d’individus signifie se baser sur de nombreux cas, sur des moyennes, sans toujours prendre en compte les exceptions. Il y a toujours des cas qui sortent du cadre… Tout en restant dans un certain cadre, plus large, celui des impératifs biologique de l’espèce ! Il ne s’agit pas de cautionner des conditions de vie ahurissantes et dangereuses pour les animaux comme maintenir un Pogona et un Physignathus dans un même terrarium et décréter que « chez moi ça marche, les gars qui écrivent des bouquins sont des idiots ! ». Pour combien de temps ça va marcher ?

Alors certes l’expérience est importante, chacun son style, mais cela ne veut pas dire que la théorie est fausse. Et inversement, les « généralités » auraient tort de négliger les observations un peu décalées car elles donnent matière à réflexion et à remise en question d’acquis que l’on croyait bien enracinés. Mais évidemment, tout comportement qui sort de la normale doit faire l’objet d’une investigation : un animal agressif alors qu’il appartient à une espèce d’ordinaire calme peut aussi signifier qu’il est stressé et être provoqué par de mauvaises conditions de vie.

Le problème est que face à un résultat différent du but recherché ou observé chez d’autres éleveurs, le terrariophile qui applique à la lettre ce qu’il a lu ou entendu peut se retrouver paniqué et ne pas savoir distinguer ce qui est une différence de caractère individuel parfaitement normale et de ce qui est carrément anormal, pathologique. Ce désarroi face aux comportements des reptiles ou amphibiens captifs vient parfois d’une mauvaise connaissance de leur biologie. Répéter n’est pas comprendre. Il faut savoir se mettre dans la peau d’un reptile, qui n’est pas celle d’un humain, d’un chat ou d’un cochon d’Inde ! Il faut connaître ce qu’est la thermorégulation pour comprendre à quoi sert le chauffage ou le comportement social de l’espèce ce qui permettra de comprendre que mettre en groupe une espèce naturellement solitaire est risqué. L’acquisition de connaissances en herpétologie, trop souvent mises de côté au profit des aspects purement « matériels », permet d’avoir des bases pour comprendre aussi ce qui se cache derrière les conseils d’un article ou de l’éleveur expérimenté et son discours de vieux brisquard… Tout comme on ne peut pas comprendre un discours de Trostky si on n’a pas quelques bases de marxisme !

Mais pour que soient diffusées des connaissances de plus en plus précises, prenant en compte les progrès de la zootechnique, encore faut-il que les informations circulent. Or, on remarque que parfois, même pour des espèces très communes en terrariophilie, les données précises ou récentes manquent. On manque également d’études scientifiques sur certains aspects de l’élevage, par exemple l’alimentation du Varan des savanes qui fait souvent débat. Les études sur son alimentation dans la nature sont assez rares ou anciennes, et l’impact d’un régime « tout rongeurs » ou « tout insectes » n’a pas fait l’objet d’études cliniques, l’essentiel de nos connaissances sont empiriques. Certes, on en apprend beaucoup par une conversation avec des éleveurs qui ne sont souvent pas avares de conseils, mais les paroles s’envolent et les écrits restent, des observations et des expériences très importantes se perdent à jamais dans les discussions. D’où l’importance de diffuser via des revues comme reptil’mag par exemple (exemple totalement pris au hasard ! ) ses expériences sous forme de notes d’élevages qui, même si elles entrent dans la catégorie des cas particuliers, sont très intéressantes.

Vincent NOËL - http://tiliqua.wifeo.com



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