Portrait :
Varanus griseus – le roi du désert.
 
 
Texte Vincent NOËL – Avril 2016.
 
 
Photo : knockout mouse – wikimedia commons
 
Faisons comme Saint-Exupéry et asseyons-nous au sommet d’une dune dans le désert – pas n’importe lequel, le Sahara - pour se dire « On s'assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n'entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence. » Tout semble vide, mais au pied de la dune qui donne sur un oued asséché, de derrière un amas de roches, un silhouette se profile. Elle est allongée, au ras du sol et à mesure qu’elle s’approche, on s’aperçoit qu’elle dandine, qu’elle « roule des fesses ». Ca marche par saccades, quelques dandinements puis s’arrête, ça semble chercher quelque chose. On secoue les jumelles qui trainaient à côté dans le sable, et on jette un œil en se disant : y’a quelque chose qui vit ici ? Si l’observateur est un naturaliste il se dira : trop gros pour un fouette-queue, ces agames qui vivent au Sahara. Ce n’est pas un mammifère, la physionomie longiligne, la démarche, pas de doute c’est un lézard. Un si gros lézard ici, ça ne peut être que le varan du désert : Varanus griseus.
 
Le regard aux jumelles le confirment : un beau gros varan du Désert – ou varan gris, ou encore Waral en langue arabe, ce mot ayant donné Varanus. L’espèce fut un des premiers varans décrit selon la nomenclature zoologique moderne. C’est le naturaliste François Daudin qui le décrivit en 1802 sous le nom Tupinambis griseus. Blasius Merrem, qui créa le genre Varanus, le nomma Varanus scincus, il ne deviendra Varanus griseus qu’en 1885 sous la plume de Georges A. Boulenger. Cinquante ans auparavant, Eichwald décrit une autre espèce, Psammosaurus caspius, qui deviendra Varanus caspius en 1845 avec John E. Gray puis une sous-espèce de V. griseus sous V. g. caspius. Comme son nom l’indique, cette sous-espèce, vit près de la Mer Caspienne, plus précisément depuis la côte orientale de cette mer, au sud du Kazakhstan, jusqu’à l’ouest du Pakistan en passant par l’Iran. C’est la population de varanidé la plus nordique au sein  de cette famille où la plupart des espèces sont tropicales. La sous-espèce nominale, V. g. griseus, est présente au nord et à l’est du Sahara, dans la péninsule arabique et au Proche Orient jusqu’en Syrie et en Irak. V. g. konieczyi, dernière sous-espèce décrite, par Robert Mertens en 1942, est présent à l’est du Pakistan et à l’extrême ouest de l’Inde. Les trois sous-espèces se côtoient au niveau des limites communes de répartition et des croisements se font sans doute naturellement.
 

Répartition de V. griseus et V. nesterovi.
 
Mais comment savoir que c’est bien un Varanus griseus que nous avons dans nos jumelles ? Après tout, il y a 79 espèces de varanidés ! Mais là, en plein Sahara, il n’y a que lui. C’est un gros varan qui atteint en général 80 à 100 cm queue comprise. La sous-espèce caspius est moyenne plus grande avec des records à) 150-155 cm, la sous-espèce griseus atteint en général 80-100 cm avec des maximums à 120 cm, la sous-espèce konieczyi est la plus petite, avec des tailles moyennes de 60 à 80 cm. Mais la taille ne peut pas représenter un critère de différentiation car les différences sont importantes selon les spécimens au sein d’une même sous-espèce. La queue représente en moyenne 1,3 à 1,5 fois la longueur du corps (museau au cloaque). C’est un lézard au corps assez fin, aux pattes bien développées. Les mâles sont généralement un peu plus longs que les femelles et nettement plus massifs. Les narines sont légèrement allongées en diagonale, elles sont plus proches de l’œil que du bout du museau.
 
La coloration est beige à gris clair voire jaune-orange clair. Le dos est marqué de bandes grises sombre à brunes ou noires (pas toujours présentes chez V. g. griseus) qui souvent se divisent au niveau des flancs. La queue est également marquée de bandes formant des anneaux parfois incomplets. Très marqués chez les juvéniles, la coloration contrastée des bandes s’estompe souvent avec l’âge. Le corps est parfois aussi marqué de tâches claires et la queue peut-être marquée de bandes transversales jaunes bordant les anneaux sombres. Dans de rares cas la queue est entièrement brune ou noire. Deux ou trois fines bandes brunes ou noires parallèles partent derrière l’œil et se poursuivent sur les côtés du coup, pouvant se rejoindre au niveau de la nuque (en général une seule des trois). Les lèvres sont généralement marquées de brun ou noir.
 
La distinction des sous-espèces, mis à part les données sur leur répartition, se fait en partie par l’observation des motifs : Les bandes transversales sur le dos sont généralement fines voire absentes chez V. griseus griseus et au nombre de 5 à 8. Ce nombre est identique pour V. g. capsius mais elles sont toujours présentes. Chez V. g. koniecznyi on dénombre seulement 3 à 5 bandes larges. Au niveau de la queue : V. g. griseus possède un grand nombre d’anneaux sombres (19-28) qui vont jusqu’au bout de la queue, chez V. g. caspius les bandes n’occupent que les deux tiers antérieurs de la queue et sont au nombre de 13-19, quant à V. g. koniecszyi, le nombre de bandes va de 7 à 15, la partie distale n’est pas marquée. A noter aussi que, si la queue est ronde à sa base, elle devient fortement aplatie latéralement chez V. g. caspius avec la présence d’une fine crête à son sommet, en revanche chez les deux autres sous-espèces, la queue est ronde sur toute sa longueur… du moins chez les sujets bien portants (puisque la queue en s’amaigrissant se comprime latéralement).
 
Cette espèce est très proche parente des autres espèces africaines, du sous-genre Polydaedalus (V. niloticus, V. albigularis et V. exanthematicus), alors qu’elle fut un temps plutôt considérée comme proche des espèces du centre de l’Asie comme V. flavescens.
 
Varanus griseus a longtemps été la seule espèce du sous-genre Psammosaurus jusqu’à la description en 2015 de Varanus nesterovi, une espèce décrite une première fois par P. V. Nesterov en 1914, oubliée au musée zoologique de Léningrad et dont les spécimens furent assimilés à V. griseus, puis redécrite en 2015 par Böhme et al. Cette dernière espèce, originaire des monts Zagros, à la frontière irako-iranienne vit en sympatrie avec V. g. caspius, des données sur les populations des monts Zagros peuvent donc se référer à V. nesterovi, autant qu’à V. griseus. Néanmoins, V. nesterovi se distingue assez nettement de V. griseus notamment avec les écailles larges, arrondies et proéminentes qui parsèment sa nuque.
 
Retour sur notre dune. Sous sa casquette, l’observateur cuit littéralement. Nous sommes en fin d’après-midi et il fait très chaud. Pourtant, ce lézard semble bien actif. Comme la plupart des varans, il est uniquement actif en journée, le matin et en fin d’après-midi. En journée, quand il fait vraiment trop chaud, il préfère néanmoins rester au frais dans son terrier. Il a été observé que son activité n’était pas forcément liée à la météorologie comme c’est souvent le cas avec les lézards. En effet, des varans du désert ont été observés pleinement actifs par temps nuageux, d’autres se retirant alors que les conditions étaient optimales.
 
La température moyenne préférentielle de cette espèce se situe entre 35 et 38°C, ce qui pour un varan est dans la norme. La température minimale d’activité est à 20°C, et la température maximale létale est entre 44 et 47°C ! Ce qui est élevé mais courant chez des lézards diurnes du désert, néanmoins à partir de 41°C il doit hyperventiler à raison de 120 respirations par minute. Le va-et-vient rapide de l’air permet de refroidir les parois internes de la gueule et d’évacuer la chaleur. Lors d’une étude menée par Adel A. Ibrahim (2000) sur les populations du Sinaï, les mesures de température corporelle des individus se déplaçant se situent entre 33,7°C et 41,9°C.
 
C’est une chance de voir ce varan car il se montre particulièrement timide et fuit l’Homme. Cette discrétion pose problème quand il s’agit d’étudier son comportement dans la nature  ou d’estimer la densité d’individus sur une zone géographique. C’est essentiellement une  espèce terrestre  de milieu sec, on la rencontre dans des habitats vraiment arides comme les dunes du Sahara, les regs et les oueds asséchés, mais elle peut aussi fréquenter les steppes, savanes et autres milieux semi-arides. Ce que recherche avant tout ce varan c’est un sol meuble, généralement sablonneux, où il peut creuser ses terriers.
 
Selon les régions et les habitats, chaque spécimen occupe un  territoire plus ou moins vaste. Il est bien mois territorial que d’autres varans et les territoires des uns et des autre se chevauchent. Les spécimens d’un certain âge sont plutôt sédentaires. Mais il y a des spécimens nomades, traversant les territoires déjà occupés, ce qui peut tout de même engendrer des frictions avec l’occupant. Les densités de population sont variables selon les régions, les habitats et la saison où l’observateur fait ses comptages. Classiquement, dans certaines régions il y a un lien direct entre les habitats végétalisés, riches en proies et une forte densité, alors que les habitats plus pauvres montrent une densité plus faible. Pourtant, dans d’autres régions, c’est l’inverse ! D’autres facteurs que l’abondance de nourriture entre donc en considération.
 
Sa façon de se déplacer, museau vers le sol, sortant régulièrement sa langue longue et « fourchue », est typique du varan qui cherche quelque chose. Parfois il s’arrête, semble excité, sort sa langue plus souvent, regarde, pose le museau entre les rochers puis repart. C’est clair : il chasse. Sa langue capture les odeurs laissées par des proies, il les piste ainsi et quand il en renifle une, rien ne l’arrêtera. Vif, il peut piquer des sprints pour saisir une proie qui tente de s’enfuir, mais il est aussi obstiné et n’hésite pas à la débusquer de son terrier en creusant avec ses puissantes pattes griffues. Dans ce désert, la nourriture est rare, aussi faut-il savoir chercher. Comme la plupart des varans, il est solitaire et occupe un territoire de chasse. C’est un chasseur actif, pouvant parcourir plusieurs kilomètres par jours. Plus le territoire de chasse est riche en proies moins le varan va parcourir de distance. Toutefois, quand un territoire s’appauvrit en proies, males comme femelles partent en occuper une autre.
 
Le varan du désert est carnivore et se nourrit de ce qu’il trouve, mais il a une préférence pour les vertébrés, notamment les petits mammifères. Il peut aussi chasser des oiseaux et grimpe parfois dans les arbres pour pilier les nids, s’attaquant aussi à des reptiles, serpents et lézards, y compris de sa propre espèce. Les jeunes se nourrissent essentiellement d’insectes et autres arthropodes, mais les adultes en consomment aussi, parfois en grande quantité. Sur le littoral, il mangerait aussi des crabes et pillerait les nids de tortues.
 
Notre vagabond peut aussi avoir une autre occupation. C’est peut-être un mâle, difficile à dire car les mâles et femelles varans sont très ressemblants. Là aussi, la voméroflaction - capture des odeurs par la langue et analyse par l’organe de Jacobson - est essentielle. Le territoire des mâles est généralement plus grand que celui des femelles, et surtout il s’étend au moment de la reproduction pour englober le territoire de chasse de ces dames. Après tout, nous sommes au printemps… Car oui, il y a des saisons au Sahara et il ne fait pas toujours uniformément chaud. L’hiver peut être frais, voire froid surtout la nuit où le thermomètre peut atteindre 0°C. La faune est bien moins active durant l’hiver, la nourriture se fait rare et dépenser de l’énergie pour cavaler après un malheureux scarabée n’est que pure perte. Aussi, les varans du désert se montrent peu actifs durant l’hiver. Mais il se montre aussi moins actif en été, les chaleurs écrasantes limitant la densité de proies. Le Varan du désert est donc surtout actif au printemps et en automne, le pic d’activité se situe en mai-juin.
 
L’inactivité hivernale est systématique, quelles que soient les populations. Selon les régions, les mâles entrent en hibernation plus tôt que les femelles ou en même temps. Cela semble dépendre notamment des ressources alimentaires, si elles sont pauvres, les varans vont rester le plus longtemps possible actifs pour emmagasiner des réserves. De plus, les femelles ayant dépensé beaucoup d’énergie pour la reproduction et devant en accumuler pour le printemps prochain, elles vont retarder le plus possible le moment de rejoindre leur terriers pour plusieurs mois d’inactivité afin, là encore, de récupérer un maximum de réserves. Les varans s’enterrent alors dans de profonds terriers y recherchant la fraicheur qui ralentira leur métabolisme. Bien qu’il a été mesuré des températures allant jusqu’à 30°C au sein de ces terriers, en général, la température recherchée se situe entre 16 et 18°C.
 
Au printemps, peu après la sortie d’hibernation, les mâles parcourent donc de plus grande distances (jusqu’à 10 km), ils arpentent les territoires des femelles pour s’accoupler. Le mâle sent la femelle de loin, il la rejoint et la suit tout en reniflant l’air avec sa langue à plus ou moins grande distance. Le mâle va rester avec la femelle entre deux et trois semaines, il s’accouplera avec elle plusieurs fois. Si deux mâles se rencontrent, un combat rituel se produit : ces joutes sont peu violentes, il y a rarement de morsures.
 
Comme tous les varanidés, V. griseus est ovipare. La ponte se déroule en juin et juillet sauf certaines populations du Pakistan, observé par Walter Auffenberg, qui pondent en automne (septembre-octobre). A l’approche de la ponte, la femelle creuse plusieurs terriers puis se décide pour l’un d’eux. Durant l’excavation du terrier, qui se termine par une chambre où seront déposés les œufs, elle passe la nuit dans un autre terrier, pour revenir, le jour, à ses travaux. La femelle ne mange plus pendant ce temps, toute consacrée à trouver le meilleur emplacement pour aménager le nid pendant que les œufs se forment dans ses oviductes. Cette dépense d’énergie, à la fois pour creuser et former les œufs, fait fondre ses réserves de graisse situées dans la queue. La ponte comporte en général 10 à 20 œufs, d’autres sources mentionnent une moyenne de 3 à 15 oeufs. Une fois déposés, la femelle retourne chasser. Elle passe la nuit dans son terrier, à quelques dizaines de mètres du nid où se trouvent les œufs, qu’elle va visiter une fois par jour. Elle défend ainsi son nid contre la voracité des autres varans du Désert car le pillage des pontes semble être fréquent, certains varans cherchant activement ces œufs. La femelle les observe de loin, si l’intrus ne semble pas s’intéresser au nid elle le laisse passer son chemin, sinon elle le charge. C’est un des rares cas de soins aux pontes observé chez les varanidés, et chez les lézards en général.
 
L’incubation dure un peu moins de 4 mois, l’éclosion a donc généralement lieu en automne. Toutefois, les nouveau-nés restent dans le nid tout l’hiver et y hibernent, n’émergeant qu’au printemps. A la naissance, ils mesurent 25 cm de longueur totale. La femelle les a laissé depuis longtemps, ils sont autonome et chasseront de petits insectes en prenant soin de fuir leurs nombreux prédateurs, y compris les adultes de leur propre espèce.
 
Le soir tombe sur la Sahara, il est temps de revenir au bivouac. Autour du feu et du thé, les Touaregs racontent que les arabes mangeaient ce varan et que ça aurait goût de poisson. Eux, n’en mangent pas, car cet animal est « sacré ». L’herpétologue Fernand Angel (1943) rapporte que cette espèce est l’objet de nombreuses croyances : la tête de ces varans était portée en talisman contre les morsures de vipères, et il fait partie des ingrédients de philtres d’amour. En Inde, Hashmi et al. (2013) citent différentes utilisations des varans (V. griseus mais aussi V. bengalensis) pour des remèdes pseudo-médicaux contre les infections, les hémorroïdes ou comme aphrodisiaque. Dans certaines régions, le varan du désert a mauvaise réputation, quand il n’est pas considéré comme un pilleur de poulaillers, il est réputé très agressif, chargeant et mordant les humains. C’est faux, il est timide, fuit l’homme et ne mord que si on le saisit. Cette mauvaise réputation le fait passer parfois pour nuisible, les varans étant tués… pour rien ! C’est aussi une victime de la route, trouvant sur le bitume un lieu idéal pour se réchauffer, il se fait souvent écraser, volontairement ou non.
 
Varanus griseus a longtemps été chassé pour sa peau, et ses effectifs ont fortement décliné jusqu’à ce qu’il soit strictement protégé par la Convention de Washington (annexe I). Malheureusement, au niveau national, tous les pays ne protègent pas cette espèce. Au Kazakhstan par exemple, il est considéré comme en sérieux déclin, les effectifs étant inférieurs à ceux des années 1980. Le recul du désert au profit de l’agriculture dans certaines régions comme en Israël ou au Kazakhstan ne sont pas favorables à l’espèce. Son habitat se trouve morcelé, les populations isolées, ce qui est problématique pour une espèce qui vit sur de vastes territoires. La chasse directe et la mortalité routière sont un autre facteur important de raréfaction.
 
Dans la nature, cette espèce vivrait une quinzaine d’années. En captivité, il est très difficile à acclimater du fait de sa timidité, stressant donc facilement. Pour ceux qui penseraient pouvoir élever cette espèce en captivité, sachez qu’étant en annexe I de la CITES, il est rarissime dans le commerce animalier et que son élevage est soumis au certificat de capacité.
 

 
Bibliographie :
 
ANGEL F. 1943. La vie des caméléons et autres lézards. Stock
 
EIDENMULLER B. 2007. Monitor lizards : natural history, captive care and breeding. Chimaira.
 
IBRAHIM A. A. 2000. A radiotelemetric study of the body temperature of Varanus griseus (Sauria : varanidae) in Zaranik Protected Area, North Sinai, Eypt. Egyptian Journal of Biology vol.2. http://ecology.nottingham.ac.uk/~plzfg/EBBSoc/ejb2/Ibrahim_2000.pdf
 
PIANKA E. R. & D. King 2004. Varanoid lizards of the world. Indiana university press.
 
www.wikipedia.org
 
www.reptile-database.org
 
http://www.freewebs.com/drtayab/Publications/Protection%20of%20Desert%20Monitor%20Lizard%20Varanus%20griseus.pdf
 
http://www.rufford.org/files/10048-1%20Detailed%20Final%20Report.pdf

 
 



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