Anolis roquet (BONNATERRE 1789) – l’Anole de Martinique.

 

Nommé « Zandoli » aux Antilles françaises, Anolis roquet est originaire de la Martinique même s’il fut introduit sur de nombreuses autres îles antillaises où il a rapidement prospéré. Avec le gecko des maisons (Hemidactylus mabouia), c’est le lézard le plus commun de l’île, se retrouvant fréquemment dans les jardins et les maisons.
 
Le genre Anolis est très vaste, avec près de 380 espèces (selon la reptile database). Le maintien d’un genre aussi vaste fait néanmoins débat, certains espèces affiliées auparavant à ce genre ont été reclassées dans d’autres genres comme le genre Chamaeleolis ou Norops. Les Anolis font partie de la famille des Dactyloidés. Les Anolis sont des Iguaniens et proches parents des Iguanidés, famille dans laquelle ils furent inclus pendant longtemps avant que celle-ci n’éclate à la fin des années 1980. Le genre Anolis fut récemment révisé et scindé, A. roquet fut alors placé dans le genre Dactyloa, mais cette classification proposée par Nicholson & al. (2012), fut infirmée quelques temps plus tard par Poe (2013). En 2012, j’avais ainsi écrit un article pour Reptil’mag sur cette espèce. Envoyé sous Anolis roquet, le rédac’chef me contacte et me dit que le nom a changé car l’article de Nicholson & al. venait de sortir… Je m’adapte et modifie les noms de genre… mais voilà qu’au moment de mettre sous presse, donc trop tard pour récupérer quoi que se soit, l’article de Poe parait, contestant Dactyloa roquet et revalidant Anolis roquet… Moralité : il faut toujours attendre et en pas prendre uen étude pour argent comptant dès sa publication !
 
Les anoles sont répandus depuis le sud-est des Etats-Unis jusqu’au centre de l’Amérique du sud avec une importante diversité dans toutes les Caraïbes : Mahorta & Thorpe (1999) y dénombrent plus de 150 espèces dont la plupart ne vivent que sur une île ou un groupe d’îles proches. Les petites Antilles forment un chapelet d’îles en forme d’arc de cercle situé au sud-est de la mer des Caraïbes. Ce sont de petites îles volcaniques qui ont commencé à émerger de l’Océan atlantique il y a 23 millions d’années. Les deux départements français que sont la Guadeloupe et la Martinique en font partie.
 
Anolis roquet fut d’abord décrit par Lacépède en 1788, mais il n’utilisa pas la nomenclature binomiale* de Linné, la description originale valide est donc à mettre au crédit de Pierre Joseph Bonnaterre, l’année suivante, sous Lacerta roquet. Ce nom de « roquet », selon Lacépède, aurait été donné par les voyageurs observant ce lézard qui lorsqu’il a trop chaud ouvre la gueule et semble haleter comme un chien… un roquet ! A la lecture de la description que Lacépède fait du « roquet », il semble y avoir des confusions avec d’autres espèces de lézards notamment Leiocephalus herminieri, une espèce aujourd’hui éteinte.
 
A. roquet a donné son nom à un groupe d’espèces du sud des petites Antilles dont font partie, entre autres, A. luciae (Sainte Lucie), A griseus (Saint Vincent), A. extremus (Barbade) ... Ces espèces sont très proches les unes des autres et constituent une vague de colonisation suivant un itinéraire sud-nord depuis les îles au large du Vénézuela jusqu’en Martinique. Anolis marmoratus lui, vivant en Guadeloupe, fait partie du groupe A. bimaculatus qui est parti du nord de l’arc antillais et est descendu vers le sud jusqu’à la Dominique, l’île qui se situe entre la Martinique et la Guadeloupe. Le canal entre la Martinique et la Dominique marque la frontière entre ces deux groupes.
 
Une espèce complexe :
 
Historiquement, A. roquet est endémique de la Martinique, mais il a été introduit par l’Homme sur de nombreuses autres îles. Les pots de fleur et donc le commerce de plantes d’agrément ou d’agriculture, est très probablement le moyen de dissémination de l’espèce car elle a volontiers tendance à y pondre ses œufs (Breuil, 2004). Toutefois, vues la petite taille et l’abondance de ce lézard, le transport involontaire de spécimens adultes par d’autres moyens est tout à fait possible.
 
Sur la seule île de la Martinique on dénombre 6 sous-espèces décrites par Lazell en 1972 sur la base des différences morphologiques et de coloration toutefois, ces distinctions ne font cependant pas l’unanimité parmi les herpétologues. Chaque sous-espèce un territoire précis, montrant également des motifs ou une coloration typique en lien avec l’habitat et les conditions climatiques qui y règnent. Les différences sont assez importantes et quand on voyage à travers l’île, on croit vraiment avoir affaire à plusieurs espèces distinctes.
 
Liste des sous-espèces selon Lazell (1972):
 
Sous-espèce Répartition Coloration et motifs (des males surtout)  

A. roquet roquet

Sud et centre de la Martinique Uniformément vert avec des ocelles blanches sur les flancs pour les mâles.  
A. roquet caracoli Est de la Presqu’île de la Caravelle Coloration jaune à orange avec de nombreuses marques rougeâtre ou brunes.  
A. roquet majolgris Nord-est de l’île entre Derrière Morne et Le Lorrain. Corps jaune-vert à rouge-brun parsemé de taches ou d’ocelles claires.  
A. roquet salinei Extrême sud-est de l’île, Ilet cabris et ilet chevalier. Corps beige à vert avec des bandes transversales brunes à noires au milieu ou à l’arrière du dos.  
A. roquet summus Massif de la Montagne Pelée Forme la plus commune : verte pouvant tirer sur le bleu avec des ocelles blanches sur les côtés et parfois sur le dos. La tête et l’avant du dos sont parfois plus foncés voire totalement noirs. Certains très beaux spécimens ont la tête et l’avant du dos totalement noir.  
A. roquet zebrilus Côte ouest entre Case Pilote au sud de Saint-Pierre. Corps blanc à gris zébré de brun ou noir, les rayures montent jusqu’à la tête ainsi que la queue  
 
  
A. r. zebrilus (Photo prise au carbet) : on voit bien que la coloration est adaptée au milieu!
 

A. r. caracoli mangeant un insecte (orthoptère).

Divers études phylogénétiques menées notamment par Thorpe & al. ces dix dernières années ont mis en évidence plusieurs populations montrant de fortes divergences génétiques entre elles :
- une grande population au centre,
- une seconde au nord-ouest sur la côte Caraïbes,
- une autre au sud près de Sainte-Anne,
- et une quatrième au sud-ouest dans la région de Trois-ilets.
 
Ces divergences entre populations d’A. roquet s’expliquent par le fait qu’il y a 6 à 8 millions d'années, la Martinique était constituée de trois petites îles séparées et que la partie centrale n’est sortie de l’Océan qui bien plus tard. Séparées les unes des autres pendant très longtemps, chaque population a dérivé génétiquement et a aussi acquis des caractères propres liés à l'écosystème des îles ancestrales. Certaines populations d'A. Roquet montrent plus d'écart génétique entre elles qu'avec des espèces voisines comme celles du groupe A. bimaculatus qui ne sont pourtant pas de la même lignée. Cependant, Anolis roquet reste une espèce à part entière car aucune barrière reproductrice ne s'est mise en place. Ces caractéristiques génétiques se sont maintenues car il y a peu de croisements entre spécimens de populations différentes, mais ces croisements existent quand même. Ces découvertes montrent des mécanismes de spéciation différents des  théories classiques qui partent du principe qu'une longue séparation géographique (allopatrie) engendre une forte divergence génétique et a pour conséquence la mise en place d’une barrière reproductrice, ce qui n'est pas le cas chez A. roquet. Cette espèce se montre donc un sujet d'étude idéal sur trois processus de spéciation que sont la sélection sexuelle, la sélection naturelle et l'allopatrie (Thorpe & al. 2008).

"on dirait qu'il écoute ce qu'on dit"... ici une femelle sur un muret.
 
Description :
 
Anolis roquet est un lézard de petite taille, les mâles, plus grands que les femelles, peuvent atteindre 20 cm de longueur totale. La longueur museau-cloaque oscille entre 6 et 8 cm selon le sexe et la sous-espèce. Chez les mâles une très légère crête non dentelée part de l’arrière du crâne jusqu’à la queue, celle-ci se voit surtout quand le mâle est en parade ou veut intimider un autre mâle. Ils se distinguent aussi par la présence d’un fanon gulaire rectractable relativement grand. Déployé, il est de couleur jaune vif et de forme circulaire.
 
C’est un lézard brillamment coloré : la coloration de fond va du gris clair au vert vif, voir au bleu. Selon les sous-espèces le corps est marqué de barres brunes à noires (A. r. zebrilus et A. r. salinei) ou d’ocelles blanches (A. r. summus). Certains spécimens tirent vers le rouge-orange avec des motifs complexes bruns, rouges ou bleus (A. r. caracoli). Il n’y a donc pas de coloration « standard » mais différentes livrées liées à l’origine géographique. La coloration des mâles est classiquement plus vive que celle des femelles, ces dernières sont vertes à brunes, une ligne d’une teinte plus claire ou plus sombre parcourt généralement le dos. Comme la plupart des Anolis, ce lézard peut changer de couleur, sa livrée devient plus claire ou plus sombre. La nuit par exemple, les Anolis pratiquent l’homochromie, la coloration se ternit en général pour se confondre avec la couleur d’une branche. Les mâles en période d’accouplement, surtout si une femelle est en vue, accentuent les contrastes de leur livrée. La coloration change également selon la température et l’humidité, ainsi que selon le stress et l’état de santé de l’animal. Ces changements sont très rapides comme chez les caméléons.
 
Anolis roquet grimpe donc avec une grande agilité sur toutes les surfaces. Comme les autres anoles, il possède des doigts adhésifs semblables à ceux des geckos, trop souvent nommés « ventouses ». Or, ce n’en sont pas car ces doigts élargis ne créent pas de dépression d’air en s’appuyant sur un support. Ils sont en réalité couverts de lamelles et de setae, des poils qui permettent l’adhésion. Ainsi, les Anoles peuvent grimper sur des surfaces aussi lisses qu’une plaque de verre même tenue à la verticale ou renversée, le lézard étant alors à l’envers.

Portrait d'un mâle.


La tête à l'envers, une position typique...
 
Comportement et cycle d’activité dans la nature :
 
La Martinique, comme toutes les îles des Antilles, est soumise à deux saisons : l’hivernage, se situant de décembre à juin, avec un temps plus sec (sauf sur les hauteurs de la montagne pelée où il fait constamment humide) et des températures légèrement moins chaudes (24-26°C) ; et la saison des pluies, chaude (30-32°C) et pluvieuse qui se déroule de juillet à novembre avec un pic d’humidité et la venue de cyclones en automne. Anolis roquet est présent dans tous les biotopes jusqu’à une altitude de 920 m (Thorpe & Stenson 2003). Il est souvent plus abondants sur le littoral et devient rares voire absent dans les cultures telles que les champs de cane à sucre qui sont régulièrement brûlés (Breuil 2004). Il est actif toute l’année, toutefois, la saison de reproduction se déroule principalement pendant la saison des pluies (été-automne).
 
Essentiellement arboricole, il occupe la partie basse à moyenne de la végétation (entre 1 et 3 m) se déplaçant très peu sur le sol sauf pour passer d’un arbre à un autre ou attraper une proie. Il reste actif même aux heures les plus chaudes de l’après-midi. La nuit il se met généralement à l’abri sur une branche ou une feuille. Les mâles sont très territoriaux et n’acceptent sur leur territoire que les femelles.
 
C’est un insectivore qui pratique la chasse à l’affût, il capture les insectes qui passent à sa portée, les repérant principalement grâce à une bonne vue et les capturant en projetant sa courte langue collante en avant. La langue a également une fonction gustative pour tester la comestibilité d’une proie. Très agile, les Anolis peuvent bondir sur une proie située à plusieurs dizaines de centimètres d’eux.
 
Ce lézard ne craint absolument pas l’Homme, au contraire, il se plait dans les jardins et se promène volontiers dans les habitations. Vif, toujours aux aguets, il observe tout ce qui se passe et « on croirait qu’il écoute ce que l’on dit » comme l’écrivit Lacépède. C’est une espèce très facile à observer : quand on s’approche de lui, d’abord il s’enfuit, mais il suffit de rester immobile quelques minutes pour qu’il réapparaisse et retourne à ses occupations sans se soucier de votre présence, pouvant s’approcher à moins de deux mètres de l’observateur. Il est même parfois observé des lézards galopant sur une personne en train de faire la sieste. On peut alors observer les mâles arpenter leur territoire, exhibant leur fanon gulaire avec quelques hochements de tête à la vue du mâle voisin ou d’une femelle, pourchasser un rival, bondir sur un insecte, s’accoupler...
 
Les mâles courtisent toutes les femelles qui entrent dans leur territoire. La parade nuptiale est courte, le mâle se pare de ses plus belles couleurs, se dresse sur ses pattes antérieures et déploie son fanon gulaire tout en hochant la tête de haut en bas. Puis, il se rapproche et recommence quelques hochements de tête. Si la femelle reste sur place, il tente l’accouplement en passant sur son côté, lui saisi le dos avec sa gueule et tente d’agripper son basin avec ses pattes postérieures.
 
Il y a plusieurs pontes par an, comprenant chacune deux oeufs et espacées de deux semaines. L'espèce pratique la rétention de sperme, il n'y a pas besoin d'un nouvel accouplement entre chaque ponte, toutefois, les accouplements entre deux pontes sont fréquents. Les femelles peuvent s’accoupler avec des mâles différents passant d'un territoire à un autre, ainsi au sein d’une même série de pontes différents ADN mâles ont été identifiés.
 
Dans la nature la maturité sexuelle est atteinte lors de l’hivernage qui suit. La durée de vie ne milieu naturel ne dépasse pas deux ans (Breuil 2003), en captivité, elle serait de 4 à 5 ans.

Accouplement
 
Cette espèce est protégée, sa capture, sa destruction sont interdits. Son élevage est soumis au certificat de capacité et à une autorisation d’ouverture d’établissement d’élevage, les spécimens acquis doivent être soit originaire d’une autre île qu’un département d’outre-mer, soit nés en captivité dans un pays de l’Union Européennes, preuves à l’appui.
 
Et en élevage ?
La plupart des sujets disponibles – en général dans d’autres pays d’Europe que la France – sont soit nés en captivité soit issus des îles non françaises où il a été introduit (parfois, la précision des éleveurs quant à la sous-espèce laisse supposé qu’ils ont été malheureusement capturés en Martinique en toute illégalité).
 
Si tout est en règle, son élevage n’est pas très compliqué. Un terrarium d’au moins 80 cm de haut est nécessaire sur 60 cm de base, au mieux, on optera pour un terrarium de 120 cm de long sur 120 cm de haut, permettant aux lézards d’évoluer à leur aise et d’observer leurs comportements sociaux. Toutefois, on ne mettra qu’un seul mâle par terrarium. La décoration sera faite de branches de différents calibres et de plantes tropicales. Une température de 28-30°C est nécessaire avec un point chaud – irradié par un spot classique ou de type HQI pour reptile (bright sun ou raptor 35 ou 50 W) sous lequel la température se situera autour de 35°C. L’humidité sera entre 60 et 90%. Son alimentation se composera de petits insectes distribués tos les deux jours au moins : mouches, grillons, teignes de ruche, vers à soie, occasionnellement des vers de farine.
 
* : En 2005, la Commission Internationale pour la Nomenclature Zoologique a rejeté tous les noms proposés par Lacépède dans son célèbre ouvrage « Histoire des Quadrupèdes ovipares » (Opinion 2104, cas 3226).
 
 
Références :
 
BREUIL M. 2003. Reptiles et amphibiens des Antilles françaises. Editiosn PLB
FLÄSCHENDRÄGER A. & WIJFFELS L. 2009 Anolis. Natur und Tier Verlag (en allemand)
GREER D. A., DE QUEIROZ K. JACKMANN T. R., LOSOS J. B. et LARSON A. 2001. Systematics of the Anolis roquet series of the southern lesser Antilles. Journal of Herpetology  35 (3).
LAZELL, J.D. 1972. The anoles (Sauria: Iguanidae) of the lesser Antilles. Bull. Mus. comp. Zool. Harvard 143 (1): 1-115
MALHORTA A. & THORPE R. S. 1999. Reptiles & Amphibians of the eastern Carribean. Macmillan Publications.
Nicholson, Crother, Guyer & Savage, 2012 : It is time for a new classification of anoles (Squamata: Dactyloidae). Zootaxa, no 3477, p. 1-108
SCHWARTZ A. & HENDERSON R. 1991. Amphibians and reptiles of West Indies. University Press of Florida
POE, 2013 : 1986 Redux: New genera of anoles (Squamata: Dactyloidae) are unwarranted. Zootaxa, no 3626, p. 295-299
THORPE, R.S., SURGET-GROBA Y., JOHANSSON, H. 2008. The relative importance of ecology and geographic isolation for speciation in Anoles. Phil. Trans. R. Soc. B 363.
 
 
 Textes et photos Vincent NOËL - http://tiliqua.wifeo.com
 
 



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