"sang-froid"... basta!

17/12/13

Sang-froid et fossiles vivants : combattre les préjugés ordinaires.


Dans nombre de documentaires ou même d’ouvrages récents sur la nature on peut lire des expressions comme « animaux à sang froid » pour désigner un reptile, ou encore «fossile vivant » accompagnant l’image gros d’un Iguane marin ou d’un Varan de Komodo. Une terminologie, d’un point de vue scientifique totalement désuète, mais qui est malheureusement encore trop souvent utilisée par les médias, parfois même par des herpétophiles !

Lors de la projection d’un documentaire montrant le travail des herpétologues assurant le suivi du Lézard ocellé dans les dunes landaises, la douce voix de la commentatrice commet un impair en utilisant l’expression : « animal à sang froid »… Brouhaha de mécontentement dans la salle peuplée d’herpétologues. La distinction sang chaud/sans froid est très ancienne et n’est plus valable depuis belle lurette, mais elle a la vie dure. Si certains amphibiens de milieux tempérés peuvent être actifs à des températures fraîches, les reptiles sont très exigeants en chaleur… Leur température corporelle préférentielle est souvent située entre 25 et 35°C, certaines espèces comme les Uromastyx sont pleinement actif à une température interne de plus de 40°C, là où un humain serait cloué au lit ! Les besoins en chaleur des reptiles, les éleveurs les connaissent bien… surtout quand ils regardent leur facture d’électricité ! Mais ça n’est pas évident pour tout le monde ! D’autant que l’expression « sang-froid » est souvent assimilée à une froideur morale, on l’utilise plus volontiers pour des serpents avec une arrière-pensée d’animal qui « fait froid dans le dos ».

Reliques du passé ?

Varan de Komodo, Iguane marin, Crocodile du Nil sont volontiers affublés du nom de « fossiles vivants ». Dans un documentaire sur l’Indonésie, le commentateur dit même que le Varan de Komodo est « un témoin de l’ère des dinosaures ». Faux et archi-faux ! Ces trois espèces n’existaient pas à l’époque des dinosaures, comme aucune espèce de reptiles actuelle. Le Crocodile du Nil n’est pas plus âgé que la lignée Homo, le Varan de Komodo serait apparu il y a moins de 4 millions d’années et les iguanes des Galápagos ont forcément moins de 15 millions d’années puisque les Galápagos n’existaient pas avant !

Les reptiles ne sont pas des reliques du mésozoïque qui auraient cessé d’évoluer depuis que leurs grands cousins ont – pour la plupart - disparus ! Une croyance répandue veut que l’évolution des formes primitives cesse dès lors où des formes plus sophistiquées apparaissent. Ce qui est faux car, d’une part, l’évolution ne tend pas vers le progrès.  C’est pourtant un préjugé très largement répandu comme l’écrit le paléontologue Stephen Jay Gould : « Le signe égal mis entre évolution et progrès représente l'obstacle le plus fort dans la culture de notre époque, nous empêchant de comprendre correctement la plus grande des révolutions scientifiques dans l'histoire humaine ». D’autre part, les mécanismes évolutifs sont universels et permanents, toutes les formes de vie évoluent et les reptiles n’ont pas cessé d’évoluer parce que « Dame Nature » aurait inventé plus « moderne » : les mammifères… La croyance en la supériorité des mammifères ne se justifiant que la croyance erronée mais rassurante que l’Homme est l’aboutissement de l’évolution.

Les reptiles ne sont pas des « fossiles vivants », et tous les fossiles sont bel et bien morts. Si en apparence certains reptiles comme les Tuattaras (Sphenodon spp.) ressemblent à des fossiles de plus de 200 millions d’années, ce n’est qu’en apparence, tout comme pour le Cœlacanthe dont l’espèce actuelle est anatomiquement – et à fortiori génétiquement – très différente de ses cousins (et non ancêtres) du mésozoïque. Bien souvent, en parlant de blattes ou d’étoiles de mer, on dit qu’ils existaient bien avant les dinosaures. Or, ce genre de remarques censées faire sensation auprès du public ne veulent pas dire grand-chose car la plupart des groupes biologiques d’aujourd’hui existent depuis le mésozoïque voire depuis le paléozoïque. Si on va par-là, toute la faune de la planète, à l’exception de nombreux mammifères ou oiseaux, sont des fossiles vivants ! Toutefois, blattes et libellules du carbonifère n’ont rien à voir avec celles d’aujourd’hui.

Les reptiles, eux, souffrent surtout du « délit de sale gueule » : L’archaïsme supposé de ces animaux est davantage lié à leur physique jugé monstrueux donc « antédiluvien ». Les animaux jugés « beaux » sont épargnés par ce genre de qualificatifs : le plus ancien fossile de lépidoptère date de 195 millions d’années, je n’ai pourtant jamais vu qui que ce soit qualifier les papillons de fossiles vivants…

Quant à l’expression « descendants des dinosaures », elle est également fausse. Les dinosaures sont des Archosaures, un groupe frère des Lépidosauriens, ce dernier étant le groupe des serpents et lézards. Ce sont deux lignées différentes. Les crocodiles sont certes aussi des archosaures, mais ils sont les cousins des dinosaures, pas leurs descendants. Les véritables descendants des dinosaures ce sont les oiseaux dont l’ancêtre commun se situerait au sein d’un groupe de petits théropodes à plumes du jurassique supérieur.

De même, les reptiles ne sont pas « nos ancêtres »… encore un travers fréquent ! Les reptiles actuels, oiseaux compris, sont des Sauropsides. Les mammifères eux sont issus de la lignée des Synapsides, ces deux lignées s’étant séparées il y a 320 millions d’années, avant que les groupes de reptiles ou de mammifères n’apparaissent. Les mammifères ne sont pas apparus après la crise qui a frappé la biosphère il y a 65 millions d’années comme on peut parfois le lire, par exemple sur le célèbre site wikipédia*. Ils sont apparus il y a 220 millions d’années et toute une faune mammalienne vivait avec les dinosaures.

En tant que passionnés de reptiles, il est important de ne pas propager des idées totalement dépassées qui donnent une fausse image de ces animaux, les montrant comme des êtres inférieurs et archaïques. Car c’est cette vision des choses, purement culturelle, en contradiction avec les principes de l’évolution biologique, qui provoquent souvent mépris voire haine vis-à-vis de ces animaux et qui a même des influences sur nos pratiques d’élevage notamment en sous-estimant leurs capacités à ressentir du mal-être dans certaines conditions de vie en captivité.

Vincent N.


* article sur la théorie triunique du cerveau qui écrit que le cerveau « Le cerveau paléo-mammalien ou limbique, serait notre 2e cerveau, apparu il y a 65 millions d'années avec l'apparition des premiers mammifères. » Certes le conditionnel est utilisé mais jamais cette assertion n’est démentie dans l’article par la vérité c’est-à-dire que les mammifères ne sont pas apparus après la crise crétacé-tertiaire, mais au trias, il y a 220 millions d’années.

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