Gerrhosauridés et cordylidés : les cordyloïdes.

Vincent NOËL – 01/09/2017

 

Pseudocordylus melanotus - amada44 (Wikimedia commons)

Gerrhosaures et cordyles sont assez peu connus, en tout cas ces noms n’évoquent pas grand-chose pour le « commun des mortels » et pourtant, on les voit assez souvent dans les documentaires sur la faune du sud de l’Afrique entre deux zèbres et un guépard. Les cordyles impressionnent par leur corps couvert d’épines et leur capacité, pour une espèce du moins (Ouroborus cataphractus), à se rouler en boule. Les Platysaurus, aux couleurs chatoyantes, cavalent sur les rochers sous les yeux du célèbre Sir David Attenborough passant leur temps à se chamailler entre mâles et à gober les mouches qui s’attardent près d’eux.

Ces deux familles de scincomorphes sont traitées ensemble car elles sont très proches parentes. Rassemblées dans le groupe des cordyloïdes, ce sont des groupes frères qui partagent un même ancêtre commun. Les gerrhosauridés ont même été longtemps classés comme une sous-famille des cordylidés (Zug 2001), néanmoins, Pyron et al. (2013) les considèrent comme des familles distinctes.

Ces deux familles furent créées par l’herpétologiste autrichien Leopold Fitzinger : celle des cordylidés en 1826 dans son ouvrage « Neue classification der reptilien nach ihren natürlichen verwandtschaften » rédigé en allemand, et celle des gerrhosauridés en 1843 dans son « Systema Reptilium » publié en latin. Parmi les caractères anatomiques qui distinguent les deux familles, on note la présence de 4 écailles pariétales chez les cordylidés contre deux chez les gerrhosauridés ainsi que la présence d’écailles cycloïdes sur la gorge des Cordylidés, absentes chez les Gerrhosauridés (Pianka & Vitt 2004).

On confond souvent les gerrhosaures et certains cordylidés avec les scincidés, or même si certains espèces leur ressemblent (notamment Tetradactylus subtesselatus, Cordylosaurus spp…) et qu’ils fassent partie du groupe des scincomorphes, ce ne sont pas des scincidés.
 

Tetradactylus seps - Luke Kemp (Wikimedia commons)

Cordyles et gerrhosaures sont des lézards de taille moyenne, mesurant pour la plupart 15 à 45 cm de longueur totale. Seules quelques rares espèces dépassent ces valeurs notamment les deux espèces du genre Motabosaurus spp. qui peuvent atteindre 70 cm ou certains Chamaesaura qui dépassent 50 cm. La morphologie est assez variée, avec néanmoins une constante : l’absence de crêtes et autres fanons. De nombreuses espèces ont une silhouette massive mais aplatie horizontalement. Cette allure un peu « aplatie » d’espèces comme Broadleysaurus major ou Platysaurus spp. leur vaut le nom de « lézard plats ». Toutefois, dans le cas des Gerrhosaures, il s’agit d’une mauvaise traduction du nom anglais « plated lizards » qui signifie « lézards plaqués » (les fameux faux amis de la langue de Shakespeare) et fait référence à leur écaillure. Les écailles des cordyloïdes sont peu ou pas imbriquées sauf chez les espèces épineuses. Elles peuvent être soit larges et rectangulaires (gerrhosauridés notamment), soit granuleuses (ex : Platysaurus spp.), soit épineuses (ex : Cordylus spp.).

Au sein des deux familles on observe un pli longitudinal qui part depuis la commissure des lèvres au cloaque, longeant les flancs, passant sous les aisselles : ce pli de peau non écailleuse marque une limite entre les écailles dorsales et ventrales, on le retrouve chez d’autres lézards, dans d’autres familles de parenté plus éloignée comme chez certains anguidés (Pseudopus apodus notamment). Ce pli est bien marqué chez les gerrhosauridés, plus discret chez certains cordylidés comme les Platysaurus voire absent (Chamaesaura spp.).

On observe également différents stades de régression des membres : bien développés chez la plupart des genres, elles sont réduites voire absentes chez Chamaesaura spp. ou Tetradactylus spp. qui ont une morphologie serpentiforme, cylindrique, ressemblant aux scinques apodes ou à certains pygopodes (Lialis spp. notamment).

La distinction entre mâles et femelles est souvent difficile, sauf chez les Platysaurus où la coloration des mâles est très vive et différente de celle des femelles. Des différences de coloration s’observent aussi chez certains Gerrhosaurus, du moins lors de la saison de reproduction. On note néanmoins chez la plus part des espèces la présence de pores fémoraux plus développés voire uniquement présents chez les mâles.
 

Platysaurus intermedius rhodesianus: Le mâle est vivement coloré,
les femelles brunes marquées de lignes claires. Ryanvanhuyssteen (Wikimedia commons)

Ces lézards vivent exclusivement en Afrique sub-saharienne et à Madagascar ainsi que quelques îles proches de Madagascar (Glorieuses, Cosmoledo). Les gerrhosauridés sont surtout terrestres, les cordylidés pour beaucoup rupicoles vivant au milieu de grands édifices rocheux qu’ils ne quittent parfois jamais. Les espèces africaines fréquentent  surtout les régions arides ou semi-arides alors qu’à Madagascar, les Zonosaures se trouvent tant dans les zones arides que les forêts les plus humides de l’île. Ils trouvent généralement refuge dans des terriers, sous ou entre les rochers et quittent peu les alentours de leur abri. Les espèces fouisseuses vont se réfugier dans le sol meuble (Tracheloptycus spp.) et des espèces sabulicoles comme Gerrhosaurus (ex. Angolosaurus) skoogi montrent les mêmes capacités de « nage » dans le sable que le poisson des sables (Scincus scincus).

Ce sont des lézards diurnes, souvent héliophiles, passant beaucoup de temps à s’exposer au soleil même en plein après-midi. Si certaines espèces sont plutôt solitaires, d’autres vivent en groupes parfois importants où les mâles passent une grande partie de leur journée à défendre leur territoire des incursions des autres mâles.

La majorité des membres de ces deux familles est insectivore. Certains ne se nourrissent que sporadiquement de végétaux, mais d’autres ont une forte tendance végétarienne comme M. validus ou Gerrhosaurus skoogi qui se nourrit également de graines. Herrel et al. ont étudié le mode de capture des proies chez Broadleysaurus major, remarquant que pour de grosses proies ce grand lézard utilise surtout sa mâchoire, pour de petites proies il utilise davantage sa langue afin les capturer alors que les Platysaurus utilisent uniquement leur mâchoire. Les cordylidés sont davantage des chasseurs statiques, attrapant les proies qui passent près d’eux alors que les gerrhosauridés sont plus actifs, des maraudeurs fouillant un territoire en quête de proies.
 

Gerrhosaurus flavigularis. Bernard Dupont (Wikimedia commons)

Le cycle annuel des gerrhosaures ou des cordyles est variable selon la latitude. Les espèces vivant en milieu tropical sont actifs toute l’année même s’ils ralentissent leur activité  en période sèche. Certains cordyles d’Afrique du sud, eux, passent par une période de repos de plusieurs mois en raison du climat subtropical à hivers doux (proche du climat méditerranéen) qui règne à l’extrême sud du continent.

Les gerrhosauridés sont tous ovipares. Les femelles pondent en général au fond d’un terrier qu’elles creusent ou récupérant celui d’un autre animal, puis abandonnent la ponte. Chez Motabosaurus néanmoins, les pontes sont déposées sur le territoire des adultes et les jeunes cohabitent avec eux plusieurs années alors que chez les autres espèces, le cannibalisme est fréquent. Ainsi, Schmidt (2007) maintient un groupe d’adultes et de juvéniles en captivité dans un vaste terrarium de 4 m de long sur 1,7 m de profondeur. Chez les cordylidés, on trouve des espèces vivipares (tous les cordylinés) et ovipares (tous les platysaurinés). Au sein des deux familles, le nombre d’œufs ou de jeunes mis au monde est généralement réduit, la plupart du temps moins de 6.

Plusieurs espèces sont considérées comme menacées, tant chez les gerrhosauridés que les cordylidés. Ils subissent une certaine pression due aux prélèvements pour le commerce animalier car certaines espèces sont assez populaires auprès des éleveurs, elles ne sont néanmoins quasiment pas élevées en captivité, l’essentiel du commerce se faisant donc au détriment des populations sauvages. La destruction de leur habitat constitue la plus importante menace d’autant que beaucoup d’espèces ne sont présentes que sur une très petite aire de répartition. De nombreux cordylidés sont protégés et placés en annexe II de la CITES (Convention de Washington). Une seule espèce est considérée comme éteinte : Tetradactylus eastwoodae qui n’a plus été revue depuis 1928, année où le second et dernier spécimen connu fut récolté.

En savoir plus:
 
La famille des Gerrhosauridés                                       La famille des Cordylidés

    

 
Sources :

Barts M. 2007. Plated lizards : Overview of the genera and species of the family gerrhosauridae. Reptilia 56 (GB).

Bates, M. F.; K.L A. Tolley, S. Edawrds, Z. Davids, J. M. Da Silva, & W. R. Branch 2013. A molecular phylogeny of the African plated lizards, genus Gerrhosaurus Wiegmann, 1828 (Squamata: Gerrhosauridae), with the description of two new genera. Zootaxa 3750 (5): 465–493

Branch B. 1998. Field guide to snakes and other reptiles of southern Africa. Ralph Curtiss Books.

Lamb, Trip and Aaron M. Bauer 2013. To be or not to be Angolosaurus: a multilocus perspective on the phylogenetic position of Africa's desert plated lizard (Gerrhosauridae). Zoologica Scripta 42 (4): 381-388

Lecointre G. & H. Le Guyader. 2013. La classification phylogénétique du vivant – Tome 2. Belin

Pianka E. R. & L. Vitt. 2003. Lizards : Windows to the evolution of biodiversity. University of California press.

Pietruszka RD, Hanrahan SA, Mitchell D, Seely MK. 1986. Lizard herbivory in a sand dune environment: the diet of Angolosaurus skoogi. Oecologia 70(4)

Pyron R. A., F. T. Birbink & J. J. Wiens. 2013. A phylogeny and revised classification of Squamata, including 4161 species of lizards and snakes. BMC evol biol.

Recknagel, H.; K. R. Elmer, B. P. Noonan, A. P. Raselimanana, A. Meyer, M. Vences 2013. Multi-gene phylogeny of Madagascar’s plated lizards, Zonosaurus and Tracheloptychus (Squamata: Gerrhosauridae). Molecular Phylogenetics and Evolution

Rogner M. 1994. Echsen 2. Ulmer.

Rogner M. 2007. Madagascar Girdled lizards : the genus Zonosaurus. Reptilia 56 (GB).

Spawls S., K. Howell, R. Drewes & J. Ashe 2012. A field guide to the reptiles of east Africa. A & C Black.

Stanley, E. L.; A. M. Bauer; T. R. Jackman, W. R. Branch, P. Le Fras & N. Mouton 2011. Between a rock and a hard polytomy: rapid radiation in the rupicolous girdled lizard (Squamata: Cordylidae). Molecular Phylogenetics and Evolution, 58(1): 53-70

Zug. G. R. 2001. Herpetology : an introductory biology of amphibians and reptiles. Academic Press.

www.wikipedia.org

http://reptile-database.reptarium.cz/

www.iucn.org
 



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