A quoi ressemblent les scinques? Suite...

Nous avons ensuite les espèces « longilignes », au corps allongé, fin et parfaitement cylindrique de même que la queue qui est généralement longue et mobile. La tête est petite et peu distincte du cou. Les pattes sont plus ou moins courtes avec de possibles réductions de leur longueur et du nombre de doigts. Bon nombre d’espèces correspondent à ce type, citons par exemple les espèces du genre Chalcides comme archétype.

La régression des membres est un phénomène courant chez ce type de scinques. La réduction du nombre de doigts va de pair avec la réduction de la longueur des pattes ou de leur affinement. On trouve, chez les scincidés, tous les stades de réduction des membres et d’allongement proportionnel du corps qui vont d’un lézard « classique » avec 4 pattes bien développées munies de 5 doigts au lézard totalement dépourvu de pattes (apode) au corps serpentiforme.

En Europe et en Afrique du nord, l’étude du genre Chalcides a permis d’étudier précisément le développement embryonnaire des pattes et le phénomène de réduction des doigts. En effet, au sein  de ce genre on trouve des espèces possédant des pattes bien développées à 5 doigts (comme Chalcides ocellatus) et d’autres totalement apodes, entre ces deux extrêmes, toutes les combinaisons existent. Le Seps strié par exemple, Chalcides striatus, que l’on rencontre dans le sud de la France, possède 3 doigts à chaque patte. L’étude de ces différentes espèces, proches parents les unes des autres, a permis de comprendre le fonctionnement des gènes du développement (les gènes HoX), le développement des doigts chez l’embryon se faisant toujours dans un ordre précis. Il a aussi été montré que l’évolution du phénomène de réduction des pattes n’a pas été linéaire au cours d’évolution de ce groupe d’espèces. Les espèces les plus anciennes ne sont pas forcément celles ayant 5 doigts et les espèces ayant perdues leurs doigts les plus récentes. Certaines espèces semblent avoir pour ancêtre une espèce possédant moins de doigts que l’espèce « fille ». On observe aussi un lien entre la réduction des membres et l’allongement du corps car les pattes ne servant plus à la locomotion, ou secondairement, ces lézards se déplacent essentiellement par reptation ce qui nécessite une plus grande souplesse du tronc donc un nombre de vertèbres plus élevé. Par exemple, chez les espèces du groupe Chalcides ocelattus qui possèdent des pattes bien formées et pourvues de 5 doigts, le nombre de vertèbres présacrées (celles du dos) est de 34 à 45 ; il est de 50 à 51 chez Chalcides armitagei qui ne possède plus que trois doigts et de 60 à 65 chez Chalcides guentheri qui ne possède plus de pattes.

Nombre de doigts  chez Chalcides (d’après Young et al. 2009)
  • 5 doigts aux pattes antérieures / 5 doigts aux pattes postérieures: C. polyepis, C. mon,tanus, C. manueli, C. simonyi, C. viridanus, C . sexlienatus, C. bistriatus, C. ocellatus, C. sepsoides, C. paralleulus, C. lanzai, C. bedriagai, C. boulengeri, C. colosii :
  • 4 à 5 doigts aux pattes antérieures / 4 à 5 doigts aux pattes postérieures selon les populations : C. mionecton.
  • 2 doigts aux pattes antérieures / 4 doigts aux pattes postérieures: C. sphenopsiformis.
  • 3 doigts aux pattes antérieures / 3 doigts aux pattes postérieures: C. striatus, C. pseudostriatus, C. mertensi, C. minutus.
  • 2 doigts aux pattes antérieures / 3 doigts aux pattes postérieures: C. mauritanicus
  • Apode: C. guentheri
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    A gauche, Chalcides striatus et ses petites pattes munies de trois doigts (Benny Trapp – Wikimedia commons), à droite C. guentheri est totalement apode (Zivzad – Wikimedia commons)

    Le genre Lerista est également la marotte des biologistes qui s’intéressent au phénomène de réduction et de disparition des pattes. Chez les 94 espèces de ce genre australien, toutes les formules existent, au-delà même de la seule réduction des pattes et de l’allongement du corps. On y trouve des espèces au corps court, à la tête relativement grande et possédant 5 doigts aux pattes antérieures et postérieures comme L. arenicola. L. bipes comme L. ips, ne possèdent plus de pattes antérieures mais conservent une paire de pattes postérieures très courtes munies de seulement deux doigts. L. axilliaris possède deux doigts aux pattes antérieures, trois aux pattes postérieures, L. baynensis, un seul aux pattes antérieures et un ou deux aux postérieures. Enfin, Leristra apoda, une espèce apode qui possède en plus de très petits yeux sont couverts d’une écaille en partie transparente ce qui caractérise un comportement fouisseur. Bref, en un seul genre, issu normalement d’un même ancêtre commun, presque tous les différents « bricolages » de l’évolution des scincidés sont représentés.

    Les espèces apodes sont nombreuses au sein de cette famille. Ces scinques ressemblent à un orvet ou amphisbène avec un corps très allongé, une petite tête peu distincte du cou et l’absence de pattes (ou à l’état de vestiges). Les espèces du genre Acontias ou les étranges Feylinia en sont de très bons exemples. Leur museau est allongé et proéminent ou conique (Feylinia), renforcé par de larges écailles facilitant l’enfouissement et faisant office de « blindage ». Leurs yeux sont souvent réduits, comme chez Feylinia spp. dont il est difficile de distinguer la tête de la queue. L’apodisme est fréquent chez les squamates même si on ne le retrouve pas chez les iguaniens (iguanes, agames, caméléons). Il est présent chez les anguimorphes (anguidés notamment avec l’Orvet ou le Sheltopusik), chez les Gekkotiens (pygopodes uniquement), chez les lacertibéniens (amphisbènes), chez les scincomorphes et enfin, bien sûr, chez les serpents. La perte totale des membres et le corps serpentiforme sont apparus 25 fois de manière indépendante chez les squamates selon Wiens et al. (2006). La moitié de ces « apparitions » se trouvant chez les scincidés. Le phénomène n’est pas linéaire, les scinques comme les Chalcides ne sont pas les « ancêtres » des orvets – lézards apodes – qui auraient donné les serpents par la suite. Chacun de ses groupes a son propre ancêtre commun, différents de celui des autres groupes où l’apodisme est apparu.
     
    Acontias plumbeus (Rayan Van Huyssteen – Wikimedia commons), remarquez son museau "blindé".

    Si l’écrasante majorité des scinques ont une peau parfaitement lisse sans la moindre aspérité, on trouve des espèces dont le corps est couvert d’écailles épineuses ou préominantes. Les écailles possèdent parfois une carène centrale (ex : Carlia jarnoldae), une petite crête qui traverse d’avant en arrière chaque écaille, mais leurs corps reste relativement lisse. D’autres sont véritablement « épineux ». Au sein du genre Egernia, on trouve ainsi des espèces dont le corps est couvert d’écailles pointues. Chez E. depressa ou E. stockesii, la queue est sorte et couverte d’épines. La queue épineuse de ces lézards à boucher l’entrée de l’abri (une crevasse dans les rochers, une cavité d’un arbre), les épines dissuadent le prédateur d’y frotter son museau. Les espèces du genre Tropidophorus ont également un corps couverts d’écailles aux bords extérieurs pointus. Mais les plus marquées sont sans conteste celles des espèces du genre Tribolonotus avec leur grosse tête triangulaire et les rangées d’écailles pointues sur le dos et à l’arrière de la tête. Chez ces scinques au corps trapu et aux membres bien développés la reptation n’est pas du tout utilisée.
    Tribolonotus novaeguinae

    Les scinques sont souvent décrits comme des lézards peu colorés, généralement bruns, gris… ternes. Mais on peut observer de magnifiques espèces aux colorations vives et/ou aux motifs complexes. On ne peut pas en faire la liste complète ici, mais citons le magnifique vert marqué de très fines marques noires de Lamprolepis smaragdina, ou le vert uni de Prasinohaema virens. Scincus scincus montre également une très belle robe jaune vif barrée de noir. Les mâles Trachylepis margaritifer sont brillamment colorés avec des reflets irisés. Et que dire de Lepidothyris fernandi et sa coloration particulièrement vive  rouge et noire avec des marques bleues ?

    Les différences entre mâles et femelles sont la plupart du temps très faibles. Rares sont les espèces où le dimorphisme ou le dichromatisme sexuel est évident. Chez la plupart des espèces, mâles et femelles ont strictement la même coloration. Notons toutefois les Plestiodon, les Carlia ou les Trachylepis, dont les mâles affichent souvent une coloration bien différente des femelles. D’un point de vue morphologique, les mâles sont plus grands et plus massifs que les femelles, ces dernières peuvent néanmoins avoir un tronc plus allongé avec même un nombre de vertèbres dorsales plus important et ce, certainement afin d’augmenter le volume de la cavité abdominale et donc le nombre d’œufs ou d’embryons. Mais si cette différence est assez marquée chez certaines espèces, dans la plupart des cas elle est bien trop faible pour être un critère fiable de détermination du sexe. Des études montrent certes que les mâles sont en moyenne plus grands que les femelles, que leur tête est plus volumineuse, mais quand on se penche sur ces études, on s’aperçoit qu’autour de ces moyennes, il y a de « grosses » femelles aux proportions proches de la moyenne des mâles, et inversement. Les différences s’accentuant avec l’âge, il est difficile de déterminer le sexe de jeunes adultes, impossible chez des juvéniles. De plus, contrairement à beaucoup de lézards comme les iguaniens ou les gekkotiens, les scincidés n’ont pas de pores fémoraux ou cloacaux : ces petites excroissances situées sous les cuisses ou autour du cloaque qui sont souvent (mais pas toujours) plus développées voire seulement présentes chez les mâles.

    Dans l’absolu, les lézards juvéniles ne ressemblent presque jamais totalement à ce qu’ils seront une fois adultes, il y a toujours une évolution de la coloration et des motifs, aussi minime soit-elle. Ce ne peut être qu’un léger affadissement de la coloration ou des motifs au fil de la croissance. Toutefois, on observe chez un certain nombre d’espèces une véritable modification de la robe lors des premiers mois de vie, au point qu’on pourrait penser que juvéniles et adultes ne sont pas de la même espèce. C’est particulièrement flagrant chez les scinques des genres Trachylepis et Plestiodon, avec un phénomène de convergence intéressant puisque chez ces deux genres appartiennent à deux groupes distincts mais arborent la même coloration et les mêmes motifs étant jeunes. Les jeunes Trachylepis comme les jeunes Plestiodon arborent des rayures longitudinales brunes ou noir sur un fond plus clair, leur queue est souvent bleue. Ces motifs évoluent avec la croissance sauf chez certaines espèces, comme T. quinquaeniata ou P. fasciatus, où les femelles conservent les motifs des juvéniles alors que les mâles non.



       
     
    Plestiodon inexpectatus : en haut un juvénile (Fritz Geller-Grimm - Wikimedia commons), en bas à gauche une femelle adulte (Lupo – Wikimedia commons), en bas à droite un mâle adulte (Alessandro Catenazzi – Wikimedia commons).
    On trouve également quelques « bizarreries » dans le monde des scinques. Les plus étranges sont les espèces du genre Prasinohaema, dont une des espèces se nomme P. virens. Le mot « prasino » de même que « virens » signifie vert, ce n’est pas un lézard qui pourrait faire du théâtre ! En effet, il est entièrement vert, en dehors… comme en dedans ! Car si la plupart des reptiles, amphibiens ou mammifères ont le sang rouge – coloration due aux globules rouges et à leur hémoglobine – le sang et les tissus de P. virens sont verts ! Comme dans la série V ! Ce phénomène est assez courant chez les poissons, très rare chez les amphibiens et rarissime dans le cas des amniotes (reptiles et mammifères) avec notre scinque comme seul et unique cas connu à ce jour. Ces petits lézards arboricoles vivent dans les forêts tropicales de Nouvelle-Guinée. Ils possèdent bel et bien des globules rouges, la coloration verte du sang vient d’une forte concentration de biliverdine et de biliburdine dans le plasma. Ce sont des substances que l’on connait tous car ce sont elles qui donnent la couleur jaune et verte aux « bleus » et autres ecchymoses. Ce sont « déchets » résultant de la mort des globules rouges qui en forte concentration provoquent la jaunisse ! La concentration de biliverdine chez ces lézards est très supérieure à celle des autres tétrapodes (reptiles, mammifères, amphibiens) et même jusqu’à 30 fois supérieure à celle des poissons « à sang vert ». Chez l’Homme, la concentration maximale de biliverdine est de 46 µmol/l, elle est autour de 660 µmol/l chez l’anguille (Anguilla rostrata) elle peut dépasser 1 000 µmol/l chez Prasinohaema prehensicauda ce qui en fait le record absolu dans le monde animal. Théoriquement, ces lézards devraient en mourir. On ne sait pas encore pourquoi le métabolisme de ces scincidés semble incapable d’évacuer la biliburdine, ni comment il y survit, ni si cette « anomalie » représente une adaptation utile à sa survie ou si la seule adaptation c’est de tout simplement survivre dans cet état pathologique. A cette étrangeté s’ajoute la présence de « Setae », des petites excroissances en forme de poils sur la face interne des doigts qui, comme on l’observe chez les geckos et les anoles, lui permettant de grimper facilement sur des surfaces lisses.

    Toujours côté bizarreries digitales, citons les biens nommés Scinques à doigts de chats du genre Ristella. Ces petits lézards du sud de l’Inde dont on connait 4 espèces ont la particularité de posséder des griffes rétractiles comme celles des chats, un cas unique chez les reptiles dont les griffes sont fixes. Elles se rétractent dans une gaine formée par une écaille plus grande qui recouvre la partie supérieure des griffes. L’utilité de la chose, là aussi, reste un mystère !

    Les scinques à langue bleue sont non seulement des scinques atypiques par leur carrure, bien plus massive que les grêles petits scincidés classiques, mais aussi par leur impressionnante langue toute bleue. Cette langue, une fois déployée peut atteindre une surface aussi large que la tête. Ils s’en servent comme moyen de défense : quand on agresse un de ces lézards terrestres, il souffle bruyamment puis, si ça ne suffit pas pour avoir la paix, il ouvre grand la gueule et déploie sa langue, de quoi surprendre le prédateur.

    Tiliqua rugosa exhibant sa langue bleue (Jarrod – Wikimedia commons)

    Et puis allez, les scinques n’étant pas avares d’étrangeté parlons un peu de Moby Dick… Oui, comme la baleine du roman de Melville ou la chanson de Led Zeppelin avec le solo magistral de John Bonham. Mais ce scinque aura du mal à jouer des baguettes car il a des moignons à la place des pattes antérieures et pas de pattes postérieures du tout. En 2012, des chercheurs découvrent à Madagascar cette étrange bestiole toute rose, ressemblant à un ver de terre décoloré. Le museau est pointu et aplati, comme celui du poisson des sables. La bête ne plonge pas dans les abysses comme un cachalot ni dans le sable comme son cousin, mais dans l’humus forestier. Totalement fouisseur, ses yeux minuscules sont couvert par des écailles et ne lui servent plus à grand-chose. L’espèce fut nommée Sirenoscincus mobydick mais intégrera le genre Voeltzkowia en 2015.
     
    Voeltzkowia mobydick (Andolalao Rakotoarison – Wikimedia commons)

    Bibliographie :

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    Ressources en ligne :

    www.wikipedia.org

    http://reptile-database.reptarium.cz/

    Grzimek’s animal life. « Evolution of limblessness » (2010).

    Naish D. : Skinks, skinks, skinks ! http://blogs.scientificamerican.com/tetrapod-zoology/skinks-skinks-skinks/

    http://tiliqua.wifeo.com Mai 2016. ISSN 2118-5492
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