Zootoca vivipara (Lichtenstein, 1823) – Le Lézard vivipare
Z. vivipara (wikimedia commons - Marek Szczpanek) Vincent NOËL – avril 2018.
Le Lézard vivipare est le seul représentant du genre Zootoca : un genre rien qu’à soi ! Quel luxe ! L’espèce fut évoquée par Von Jacquin en 1787, mais le nom est considéré aujourd’hui comme « nomen nudum » car il n’en fit pas véritablement une description, le premier descripteur officiel qui répond aux exigences du code de nomenclature zoologique est Lichtenstein en 1823.
Le genre Zootoca apparait avec Tschudi (1837) mais l’espèce resta dans le genre Lacerta jusqu’à la révision de ce genre en 1996 (Mayer & Bischoff) et le classement dans le genre Zootoca fit longtemps débat. L’espèce a un nombre impressionnant de synonymes, de taxons attribués par différents auteurs mais qui en réalité furent des descriptions de la même espèce.
Zootoca vivipara est scindé en plusieurs sous-espèces, dont un certain nombre sont incertaines. Selon la reptile-database (consultée le 16 janvier 2017), 5 sous-espèces sont distinguées :
Zootoca vivipara louislantzi ARRIBAS 2009, qui a la particularité d’être ovipare et que l’on trouve au sud-ouest de la France et dans les Cantabrique au nord de l’Espagne.
Zootoca vivipara pannonica (LAC & KLUCH 1968) : Ouest et sud des Balkans.
Zootoca vivipara sachalinensis (PERELESHIN & TERENTJEV 1963) : occupe la plus vaste répartition puisqu’on la trouve depuis la Pologne à l’île de Sakhaline, côté pacifique de la Russie et le Japon (Hokkaido).
Zootoca vivipara vivipara (LICHTENSTEIN 1823) : Cette sous-espèce occupe l’Europe de l’ouest, centrale, les îles britanniques et la Scandinavie. Zootoca vivipara carniolica (MAYER, BÖHME, TIEDEMANN & BISCHOFF 2000) : Egalement ovipare et présente au nord-ouest de la Croatie, en Slovénie, au sud de l’Autriche et dans les Alpes italiennes. Elle est présente à une altitude comprise entre 450 et 1 880 m.
La distinction morphologique des sous-espèces est difficile sans indication de l’origine, du mode de reproduction pour certaines ou d’analyses génétiques. L’espèce en revanche est relativement facile à différentier des auters espèces qu'elle cotoie même si on peut la confondre avec le Lézard des murailles (Podarcis muralis), les lézards des Pyrénnées (Ibeolacerta spp.) ou avec des jeunes Lézards des souches (Lacerta agilis).
Le Lézard vivipare a la même taille que les espèces précitées : 18 cm maximum, les femelles sont légèrement plus grandes que les mâles alors que chez les lacertidés c’est généralement l’inverse. Etre plus grande est une adaptation à la viviparité : plus la femelle a un tronc allongé, plus elle peut conserver d’embryons ! Ainsi, la LMC des mâles adultes se situe entre 3.9 et 6.1 cm contre 4.4 et 7.1 cm pour les femelles adultes. Le corps est plus trapu que celui du Lézard des murailles, la tête est petite, les pattes plus courtes. Une des caractéristiques (même s’il faut avoir l’œil, ce qui ne s’exerce vraiment que sur le terrain) sont les écailles du corps qui sont plus grosses que celles des autres lacertidés de même taille, elles sont également légèrement proéminentes ce qui leur donne un aspect bosselé. Ainsi, au milieu du corps, on compte 41 à 62 rangées d’écailles dorsales chez Podarcis muralis contre 25 à 38 chez Zootoca vivipara. A noter aussi que le Lézard des murailles possède une plaque massétérique, une large écaille entourée de petites écailles entre l’œil et l’orifice de l’oreille, alors que chez le Lézard vivipare on observe plusieurs écailles de tailles moyennes et identiques.
La robe est brune, la queue est souvent grise chez les juvéniles. Les flancs sont plus foncés que le dos, formant deux bandes bien délimitées avec un liseré souvent plus clair. Sur le dos, une fine ligne sombre est souvent visible longeant la colonne vertébrale. Les femelles possèdent sur le dos et la base de la queue des tâches noires très petites ainsi que des tâches beige à blanches. Ces tâches n’ont souvent la taille que d’une écaille et sont peu nombreuses. Chez les mâles, le corps est marqué par des taches blanches ou noires plus larges formant parfois des lignes ou des ocelles proches quoique plus petites de celles des femelles de Lacerta agilis. Le ventre des mâles est souvent orange à rouge maculé de points noirs, il est immaculé et plus clair chez les femelles. Il y a des variations individuelles mais elles sont souvent discrètes.
Individu mélanique (Rosentod - wikimedia commons) Zootoca vivipara est un des tétrapodes terrestres qui a la plus grande aire de répartition au monde. On le trouve de Brest à Hokkaido ! Cette répartition couvre toute l’Europe (même si l'espèce est peu présente en Europe méridionale) ainsi que la Russie et le nord du Japon. Alors certes, des animaux comme le loup ou l’ours brun ont également une zone de répartition extrêmement vaste, mais nous avons là affaire à un petit reptile, ces animaux étant plutôt casaniers et peu enclin à se disperser. C’est aussi le reptile non avien qui a la zone de répartition la plus nordique au monde, il dépasse le cercle polaire puisqu’on le trouve jusqu’à 69° de latitude nord en Europe et 70°N en Yakoutie (le cercle polaire étant fixé à 60°). Un exploit pour des animaux aussi dépendants de la chaleur environnante. Seule la Vipère péliade (Vipera berus) franchit également cette fameuse ligne où les nuits deviennent permanentes en hiver, et le soleil ne se couche pas en été.
Quelles adaptations ont permis à ce lézard de vivre dans des habitats que la plupart des autres reptiles non aviens fuient ? D’abord il a une meilleure résistance au froid. A quelques exceptions près, les reptiles ne peuvent pas augmenter leur température corporelle sans sources de chaleur externe (ectothermie). Lors de l’hibernation, un reptile cherche à s'abriter dans un gite « hors gel » (généralement souterrain) car le gel transforme l’eau contenue dans les cellules en glace. Les cristaux de glace finissent par éventer les cellules ou les faire éclater, tuant l’animal. Or, des études en laboratoire ont montré que les tissus de Z. vivipara sont capables de résister à une température de -3°C sans trop de problème grâce au mécanisme de surfusion qui empêche les liquides de son corps de geler même sous zéro. Certaines substances comme le glucose agissent comme antigel. Dans le Jura, des individus hibernants ont affiché une température interne de -4°C. Toutefois les conditions dans lesquelles le lézard hiberne, notamment l'état et la nature du sol, influent sur sa capacité à resister au froid. En Sibérie, une série de mesures et d’observations ont été faites dans les sites d’hibernation de Z. vivipara. Il a été montré qu’enterrés dans un substrat humide et si la température atteint -3°C, tous les individus observés sont morts, alors que dans un substrat sec, le taux de survie est de 40%, il descend à 9,4% à -10°C et est nul à -12°C, montrant que sous certaines conditions, le lézard vivipare supporte des températures de -10°C. Toutefois, les populations d’Europe de l’ouest ne semblent pas capables de telles prouesses.
Sa coloration brune lui permet aussi de mieux capter les infrarouges du soleil et donc de se réchauffer plus rapidement malgré une température ambiante fraiche. Il est ainsi possible de voir des Lézards vivipares sortir alors que la neige couvre encore des pans entiers de leur habitat. Il n’est pas le seul, la Vipère péliade fait de même ainsi que le Lézard des murailles que l’on peut voir lors des journées ensoleillées même en plein hiver. Comme chez la Vipère péliade, le mélanisme tend à devenir plus fréquent à haute altitude ou dans les régions froides. Le mélanisme est une mutation génétique engendrant une surabondance de mélanine et qui peut rendre certains spécimens entièrement noirs. Cette couleur sombre permet d’encore mieux capter les rayons du soleil et d’améliorer la montée en température du corps. A haute altitude ou en régions froides, les spécimens mélaniques ont de meilleures chances de survie, se réchauffant plus rapidement que leurs congénères bruns, ils peuvent être actifs plus longtemps et se reproduisent mieux, transmettant ce gène à leurs descendants. La température moyenne préférentielle de cette espèce se situe autour de 30°C, elle est plus élevée chez les femelles gestantes. La viviparité est également un de ses secrets. Bien que ce soit un mode de reproduction fréquent chez les squamates, il est le seul de sa famille, celle des lacertidés, à être vivipare. Le fait de conserver les embryons dans le corps maternel jusqu’à leur complet développement et non de pondre des œufs, permet à la femelle de se transformer en incubateur vivant car la température optimale de développement des embryons se situe autour de 27°C. Les œufs enfouis dans le sol ne profiterait pas d’assez de chaleur sur un temps assez long pour se développer dans des régions où la saison chaude est courte et/ou les températures trop faibles : on remarque d’ailleurs que dans les régions froides (qu’elles soient élevées en latitude ou en altitude), la proportion d’espèces vivipares augmente. En Scandinavie par exemple, vivent 6 espèces de squamates, dont 4 sont vivipares (Vipera berus, Z. vivipara, Anguis colchica et Coronella austriaca). En se thermorégulant pour ses propres besoins, la femelle en fait profiter ses embryons qui peuvent ainsi se développer et naitre en été, ayant le temps de se disperser, de prendre des forces et de trouver un site d’hibernation.
La reproduction de ce lézard est beaucoup étudiée car il existe des populations ovipares : V. z. louislantzi et Z. v carniolica vivant dans les Alpes (au nord de la Slovénie, dans les Alpes Carbiques au sud de l’Autriche, au nord-est et au nord-ouest de l’Italie). L. z. louislantzi est géographiquement séparée des populations vivipares, Z. z. carniolica côtoie des populations vivipares (Z. v. vivipara) mais il ne semble pas y avoir d’hybridations entre elles. Quant aux croisements opérés en captivité, bien qu’ils aient produit des hybrides viables, ils ont aussi montré une mortalité plus importante et l’apparition de malformations. Cette barrière génétique incite Cornetti et al. (2015) à proposer d’élever ces deux sous-espèces au rang d’espèce à part entières.
Ce double mode de reproduction permet de mieux connaître le phénomène qui a permis, à un moment donné dans l’histoire évolutive d’une espèce, de devenir vivipare et si, dans le cas de notre lézard, les populations vivipares sont issues de populations ovipares ou l'inverse. On sait que les premiers stades de développement de l’embryon sont identiques chez les populations ovipares et vivipares, mais qu’à un certain stade du développement intra-utérin, la formation de la coquille ne se fait pas.
Les faunes du paléarctique, cette zone d’Eurasie et du nord de l’Afrique, ont subi les changements climatiques notamment les glaciations qui les ont obligés à migrer vers le sud. Lacerta bilineata s’est réfugié en Italie quand les glaces ont recouvert le nord du continent et que la France ressemblait à la Laponie d’aujourd’hui. D’autres ont trouvé refuge dans les Balkans, d’autres encore dans la péninsule ibérique ou au sud du Caucase. Z. vivipara était à l’origine ovipare et s’est lui aussi réfugié vers le sud lors des glaciations. Trois refuges distincts ont été occupés en Europe : au niveau de l’Italie et de la Péninsule ibérique et des Balkans. La viviparité serait apparue dans les Balkans il y a au plus tard 5,3 millions d’années. Les populations ovipares sont restées là où elles sont actuellement et n’ont pas entrepris de migration vers le nord alors que les formes vivipares ont progressé partout ailleurs en Europe, entrant à nouveau en contact avec V. z. carnolica il y a 10 000 ans, à la fin de la dernière glaciation. Mais Z. v. vivipara n’a jamais continué sa course vers le sud-ouest de la France pour rencontrer Z. v. louislantzi. Il est probable que l’espèce eu toujours une forte affinité avec les milieux humides et frais car les populations ovipares occupent les mêmes habitats que les formes vivipares, la viviparité fut une adaptation supplémentaire aux conditions froides.
Toutefois, il s’agit là des populations européennes, ouest-européennes surtout (Z. v. vivipara), car en Russie (région de Kaliningrad – dans l’enclave russe située entre la Lituanie et la Pologne), des études ont montré des différences chromosomiques dans deux populations proches indiquant que la colonisation post-glaciaire de cette région s’est faite via deux lignées : une venant de l’ouest, l’autre du sud-est. D’autres refuges ont pu exister et d’autres sous-espèces (voire espèces) pourraient exister. Ainsi, Kupryanova et al. (2014) distinguent plusieurs groupes selon le types de chromosomes sexuels : trois variétés de Z. v. vivipara (russe, occidentale, hongroise) sont par exemple distinguées. En tout, en ajoutant les deux sous-espèces ovipares, il y aurait 5 formes différentes pour l’Europe. A cela s’ajoute les populations du centre et de l’est de la Russie qui sont quasiment inconnues.
En France, le Lézard vivipare est commun en Bretagne, en Normandie, dans le nord et le nord-est, le Jura ainsi que dans les Deux-Sèvres. Il est moins commun voire rare dans la région parisienne, le Centre, le Val de Loire, la Bourgogne, la Vallée du Rhône. Il devient très rare voire absent du pourtour méditerranéen, du Roussillon, du bassin de la Garonne et de la Gironde ainsi que des Charentes. Dans la moitié sud du pays il est surtout présent en altitude : commun dans le Massif Central et les Alpes jusqu’à 2 500 m d’altitude. On le trouve également dans les Landes (zones de tourbières uniquement), au Pays-Basque et dans toutes les Pyrénées (jusqu’à 2 200 m d’altitude) où il s’agit de la sous-espèce ovipare Z. v. louislantzi.
En Alsace, il est plus abondant dans les Vosges où il remplace peu à peu le Lézard des murailles et devient le reptile le plus commun des sommets arrondis du vieux massif montagneux, en particulier dans les Hautes Vosges. On l’observe aussi en plaine d’Alsace, dans les zones humides bordant le Rhin ainsi que dans les forêts de plaine (forêt de Haguenau, Herrenwald, Illwald…). Considéré il y a peu comme rare en plaine, de plus en plus d’observations montrent qu’il est davantage commun qu’on ne le cru jusqu’ici et sa répartition en plaine reste encore à préciser. Les Vosges ainsi que les forêts rhénanes et de plaine d’Alsace lui offrent des conditions de vie favorable notamment à cause de l’humidité.
En effet, cette espèce est très liée aux habitats humides, en particulier en plaine. On le trouve près des zones humides, dans les tourbières notamment, mais aussi certaines lisères de forêts et les clairières. Il n’est pas spécifiquement attaché à la présence d’eau car ce n’est pas une espèce aquatique comme peut l’être la Couleuvre vipérine, c’est avant tout une forte hygrométrie qui est recherchée. Il s’avère que le Lézard vivipare y est très sensible car son corps subit d’importantes pertes hydriques que ne subissent pas des espèces comme le Lézard des murailles qui s’épanouira davantage dans des lieux secs. De ce fait, dans les zones plus sèches et chaudes du sud de la France il se réfugiera en altitude (Alpes, Massif Central) alors que dans les régions plus humides comme la Bretagne ou la Normandie (qui par ailleurs n’ont pas de massifs montagneux élevés), il vit sans problèmes en plaine. En Russie, il vit dans les forêts ouvertes peuplées de résineux (Taïga) ainsi que les vastes tourbières. Il est donc là aussi inféodé à des milieux humides, tout comme sur l’île d’Hokkaido où il n’est observé que dans les zones humides.
C’est un lézard terrestre qui grimpe très rarement. Malgré qu’il n’apprécie pas les zones sèches, il n’en reste pas moins un lézard qui recherche les rayons du soleil, profitant des trouées dans la végétation pour en capter les rayons. On ne le trouve pas dans les zones forestières trop épaisses avec un couvert végétal élevé masquant le soleil. L’abattage des arbres (naturel ou dû à l’exploitation et la gestion des forêts) lui offrent donc temporairement des micro-habitats favorables. Dans ce type de milieux, à la fois humides et ensoleillés, la densité peut être importante et se réduire au fur et à mesure que le milieu se ferme avec la croissance des grands arbres. Il est moins vif que d’autres lézards et peut rester immobile assez longtemps sous l’oeil du naturaliste. Mais il reste discret.
Insectivore, il se nourrit en particulier d’araignées et d’Homoptères (cicadelles, cercopes – ceux qui produisent les crachats de coucou…) ainsi que d’autres insectes telles des grillons, criquets, fourmis, chenilles…. Il s’attaque en général à de petites proies.