La biologie reproductrice et les comportements liés à la reproduction des scincidés est particulièrement intéressante car certaines espèces représentent des cas uniques chez les reptiles non aviens.

Plus de 40% des scincidés sont vivipares. On en qualifie encore certains d’ovovivipares, mais la distinction entre ovoviviparité et viviparité tombe en désuétude car il y a tout un éventail de viviparités et pas seulement deux types bien marqués. Certains biologistes distinguent 4 types de viviparité chez les reptiles liées à la placentation, on les retrouve toutes chez les scinques. Cela va de l’œuf qui incube dans le corps de la femelle et qui mis à part l’absence de coquille calcifiée garde encore toutes ses caractéristiques d’œuf « classique » (l’embryon ne se nourrit que du vitellus) ; à la viviparité dite matrotrophique quasi complète comme chez Brasiliscincus heathi où le vitellus a quasiment disparu et où l’embryon tire l’essentiel de ses nutriments des échanges avec le corps maternel. Selon les espèces la part entre l’alimentation vitelline et matrotrophique est très variable de même que, par conséquent, le développement de réseaux de vaisseaux sanguins sur la paroi utérine et au niveau de la membrane qui entoure l’embryon. Dans certains cas, les modifications sont importantes formant une placentation. On observe aussi quelques rares espèces chez qui il y a des populations ovipares et d’autres vivipares selon les conditions climatiques sous lesquelles vivent ces populations ; c’est notamment le cas de Lerista bougainvilii, une espèce australienne.

Il y a bien sûr des espèces ovipares, dont certaines montrent des comportements de garde de ponte durant une grande partie de la durée d’incubation et même jusqu’à l’éclosion comme chez les Plestiodon d’Amérique du nord (ex. Eumeces fasciatus). Chez ces petits scinques terrestres, la femelle reste au contact de ses œufs durant l’incubation, les « couvant » et parvenant par différents comportements à optimiser la thermorégulation et le taux d’humidité dans le nid. Des pontes communautaires ont été observées mais chaque femelle est capable de reconnaitre ses propres œufs. Une capacité importante car il arrive que la femelle les change de place en les transportant un par un vers un autre nid plus favorable. Il n’y a toutefois pas de soins prolongés après la naissance, la femelle abandonne les nouveau-nés un ou deux jours après leur naissance.

Plestiodon fasciatus

Chez Tribolonotus gracilis, la femelle surveille sa ponte mais les juvéniles restent avec leurs parents un certain temps. Ils dans le même abri et il n’est pas rare de voir un jeune sur le dos d’une femelle. A noter aussi que ce scinque est capable de vocalises, de petits cris qui se remarquent surtout lorsqu’on dérange les lézards surveillant une ponte.

Chez la plupart des vivipares il n’y a pas de soins post-natals, la femelle se contente de ne pas dévorer sa progéniture naissante, ce qui semble logique ! Elle les aide néanmoins à se libérer de la membrane qui les entoure et nettoie ses petits avec la langue (voir la vidéo plus bas). Les jeunes partent dans les minutes ou heures qui suivent leur libération. Mais ce n’est pas une généralité…

L’un de groupes de scinques vivipares les plus étudié pour différentes raisons, est la sous-famille des egerniinés. Le genre Egernia a été éclaté en plusieurs genres différents : Bellatorias, Egernia sensu stricto, Liopholis et Lissopholis. Ils constituent le groupe « Egernia » au sens large et montrent des comportements sociaux et parentaux complexes. Ce groupe est présent en Australie à l’exception de Bellatorias frerei qui vit aussi au sud de la Nouvelle-Guinée. Il se compose d’espèces vivipares de taille variable, de moins de 20 cm à plus de 40 cm queue comprise. Certaines strictement terrestres, d’autres saxicoles ou encore arboricoles. La plupart est diurne mais quelques-unes sont nocturnes. On y trouve des espèces de milieu tropical humide et des espèces déserticoles. Le comportement social est variable selon les espèces, mais d’après Chappel (2003), 23 espèces sur 30 montrent un comportement social structuré. Chez E. cunninghami, le groupe est centré sur un couple monogame, les jeunes restent avec leurs parents parfois plusieurs années, d’autres forment des groupes d’adultes où il n’y a toujours qu’un mâle. Pour éviter les croisements incestueux, il a été remarqué que les mâles sont souvent issus d’un autre groupe, non apparenté, mais les femelles sont de proches parentes. Au sein d‘une même espèce la taille des groupes est variable, allant de 2 (oui, pour un groupe, il faut au moins être deux !) à plus de 20 individus de tous âges. Cette variabilité est liée à la place : par exemple chez une espèce saxicole, la taille du groupe variera selon la taille de l’édifice rocheux sur lequel ils vivent. Les juvéniles restent plusieurs mois à plusieurs années au sein du groupe. Chez certaines espèces, les jeunes, surtout les mâles, sont chassés au bout de quelque mois, chez d’autres ils restent plusieurs années. Les adultes sont capables de reconnaitre leur progéniture, principalement par leur odeur et peuvent se montrer très agressifs avec les individus d’autres groupes. Au sein du groupe, une hiérarchie s’installe, elle a été observée tant en captivité que dans la nature. Quelle est l’utilité de ce type de comportement ? Probablement, cela réduit la prédation, plusieurs yeux surveillant les prédateurs valent toujours mieux qu’une seule paire réduisant ainsi le taux de mortalité des jeunes sachant que beaucoup de ces espèces produisent un nombre restreint de petits par an. Les jeunes profitent de la vigilance de leurs ainés.

 

Famille d'Egernia cunninghami - Photo: D. Gordon E. Robertson Wikimedia commons
 
Chez Tiliqua rugosa, une autre espèce australienne proche des Egernia, la monogamie atteint de records. Ainsi, lors d’un suivi de couples en milieu naturel, les chercheurs en ont repéré un qui est resté fidèle depuis au moins 27 ans ! Certes, le couple ne se forme que durant la période des accouplements, de septembre à mi-novembre, mais ils sont très proches, se déplaçant ensemble (le mâle souvent derrière la femelle), et vivant dans le même refuge. Le couple se sépare après cette période mais il se retrouvera l’année suivante, même s’ils n’occupent pas le même refuge hivernal, comme on l’observe chez de nombreux oiseaux. Ces retrouvailles se font tout au long de la vie du couple sachant que cette espèce a une longue espérance de vie. Si l’un des deux partenaires venait à mourir, l’autre peut ne plus s’apparier du reste de sa vie. Ce gros scinque vivipare ne met au monde que 1 à 3 petits… enfin petits, ils sont en réalité particulièrement gros dès la naissance. Ainsi, en captivité, un jeune Tiliqua rugosa konowi  mesurait 20 cm pour 120g, soit les deux tiers de la longueur de sa mère (Röhe in Hitz & al. 2004) ! Rapporté à un humain d’un mètre soixante (taille moyenne des femmes en France), cela ferait un  bébé d’un mètre !  Les jeunes restent avec leur mère durant leur première année, elle ne semble pas s’en occuper activement mais ne les chasse pas. Il a également été démontré qu’une femelle est capable de reconnaitre ses petits de ceux d’une autre femelle (Bull, 2000).

Enfin, citons Corucia zebrata, sans doute le lézard au comportement parental le plus complexe. Cette espèce des îles Salomon, outre son look atypique, son régime alimentaire végétarien, ses mœurs arboricoles et sa taille pouvant atteindre 80 cm queue comprise, est également une mère poule. Les groupes sont d’ailleurs principalement matriarcaux, les femelles reproductrices sont souvent apparentées : sœurs, tentes, cousines… Les mâles souvent en marge du groupe et ne sont tolérés que pour les accouplements. Ce lézard vivipare ne met qu’un ou deux jeunes au monde, très grands. Ils restent avec leur mère et on peut les observer en contact direct, sur le dos. Il a aussi été observé que les « tantines » s’occupent des jeunes de leurs sœurs, mais cela se restreint aux seuls proches parents, un jeune d’un autre groupe ne sera pas toléré.

Il y a encore quelques années, hormis Corucia zebrata, les scinques étaient peu nombreux dans les listes d’espèces menacées comme celle de la CITES. Mais de plus en plus de taxons entrent dans les listes rouges de l’UICN.

Selon le site de l’UICN, 62 espèces (sur les 446 étudiées soit moins d’un tiers de la famille) sont en danger, en danger critique d’extinction ou éteintes. Parmi les espèces en danger critique d’extinction nous avons :

 Afroablepharus annobonensis : Endémique de la petite île d’Annobon, au large de la Guinée Equatoriale. Cette île volcanique isolée, aux reliefs peu élevés (598 m max), ne fait que 6km de long sur 3 km de large. L’espèce est menacée par la conversion de son habitat en zones agricoles et l’introduction d’espèces prédatrices.

Brachymeles cebuensis : Espèce vivipare aux pattes très réduites et au corps très allongé qui vit sur l’île de Cebu au centre des Philippines. Son aire de répartition ne ferait, selon l’IUCN, que 20 km² et est en regression à cause de la déforestation.

Chalcides ebneri : selon le rapport de 2006 de l’IUCN l’espèce n’a plus été observée depuis 1970. Originaire de l’est du Maroc elle a subit la destruction de son habitat, son aire de répartition ne faisant que 100  km².

Emoia nativitatis : endémique de l’île Christmas, une minuscule île près de l’Australie connue aussi pour l’impressionnante migration annuelle de crabes terrestres. Ce très petit scincidé est menacé par la trop classique dégradation du milieu mais aussi et surtout par l’introduction de la fourmi folle jaune (yellow crazy ant), Anoplolepis gracilipes. Cette espèce de fourmis dont on ne connaît pas exactement l’origine, (mais qui viendrait d’Afrique semble-t-il) a été introduite involontairement sur de nombreuses îles tropicales à travers le monde et y fait d’importants dégâts comme les fourmis d’Argentine dans le sud de l’Europe ou les fourmis à grosse tête à Hawaï.

Geoscincus haraldmeieri: On ne connaît actuellement que deux spécimens naturalisés de cette espèce découverte par Böhme dans les années 1970 au centre de la Nouvelle-Calédonie. Malheureusement, la zone forestière où ces spécimens furent découverts a été convertie en cultures, on ne sait donc pas si l’espèce existe encore. A cela s’ajoute l’introduction de fourmis invasives.

Lioscincus vivae : Une autre espèce néo-calédonienne découverte par Saldier, Bauer, Withaker et Smith en 2004. Cette espèce ne vit que dans une région restreinte du centre de Grande Terre (massif de Kopéto-Paéoua).

Madascincus arenicola : Un joli petit scincidé aux pattes courtes ne se trouvant que dans une région très restreinte (moins de 60 km²) de l’extrême nord de Madagascar (Baie des Sakalava et Baie des Dunes, Forêt d'Orangea).

Marmorosphax taom : Décrite seulement en 2009, elle n’a été pour l’instant observée que sur le mont Taom, en Nouvelle-Calédonie.

Nannoscincus exos et N. manautei : Deux autres espèces de Nouvelle-Calédonie vivant dans les zones montagneuses du nord de Grande Terre. Comme les autres, la déforestation et l’introduction d’espèces invasives sont les causes majeures de leur raréfaction. Leur territoire étant très restreint, elles sont d’autant plus fragiles.

Paracontias fasika et P. minimus : Deux espèces apodes malgaches. Dans le cas de la première, un  seul spécimen est connu, pour P. minimus, sa zone de répartition est estimée à 29 km² seulement.

Bibliographie :

ADLER, G. H., C. C. AUSTIN & R. DUDLEY 1995. Dispersal and speciation of skinks among archipelagos in the tropical Pacific Ocean. Evolutionnary Biology 9. P.529-541.

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BULL, C. M. 2000. Monogamy on lizards. Behavioural processes 51. P.7-20.

CASCIO LO P. 2010. Field body temperature in a micro-insular lizards community. Naturalista sicili S. IV, XXXIV (1- 2).

CHAPPLE, D. C. 2003. Ecology, life history, and behaviour in the australian scincid genus Egernia, with comments on the evolution of complex sociality in lizards. Herpetological monographs 17. P. 145-180

FISHER, R. & INEICH, I. Cryptic extinction of a common Pacific lizard Emoia impar (Squamata, Scincidae) from the Hawaiian Islands. Oryx. 12 mars 2012. DOI:10.1017/S0030605310001778.


HECNAR, S. J. 1994 Nest distribution, site selection, and brooding in the five-lined skink (Eumeces fasciatus). Revue canadienne de zoologie 72(8): 1510-1516, 10.1139/z94-199

HITZ R., G. M. SHEA, A. HAUSCHILD, K. HENLE & H. WERNING 2004. Blue-tongued Skinks, contributions to Tiliqua and Cyclodomorphus. MSOP Verlag.

INEICH I. 2009. Bocourt’s terrific skink, Phoboscincus bocourti Brocchi, 1876 (Squamata, Scincidae, Lygosominae) in GRANDCOLAS P. (ed.) Zoologica neocaledonica 7. Biodievsrity studies in New Caledonia. Mémoires du Muséum National d’Histore naturelle 198. P.149-174.

PIANKA E. R. 1986. Ecology and natural history of desert lizards. Princeton University Press. PIANKA E. R. & L. J. VITT. 2004. Lizards, windows to the evolution of diversity. University of California Press.

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www.wikipedia.org
www.reptile-database.com
www.iucnredlist.org

Tiliqua, le monde des lézards – juillet 2016. Texte libre de droits de diffusion à condition de mettre le lien vers le présent site. ISSN 2118-5492
 

 



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