On constate donc une forte hétérogénéité dans la diversité d’espèces selon les régions du monde et dans la taille de leur répartition. Cette hétérogénéité ne se limite pas aux seules iles où évidement, une espèce peut difficilement s’étendre, mais aussi au niveau continental. Chalcides ocelattus par exemple est présent en Afrique du nord et de l’est, au Moyen-Orient et en Sicile, alors que C. parallelus ne vit que sur une toute petite région du Maroc et d’Algérie. Autre exemple, au sein du genre Tiliqua : si la plupart des espèces occupent une aire de répartition très vaste, couvrant parfois la majeure partie du territoire australien, deux espèces ont une répartition restreinte : T. adelaidensis et T. nigrolutea. La raison est liée à leurs exigences en matière d’habitat. T. adelaidensis ne vit que dans les pairies du sud de l’Australie, au nord de la ville d’Adelaïde. C’est l’un des lézards les plus rares et menacés d’Australie qui a souffert de la dégradation de son habitat naturel, déjà restreint à l‘origine. Ce petit lézard ne trouve abri que dans les trous laissés par des araignées-loups ou lycoses. Ces exigences écologiques limitent donc son expansion. Tiliqua nigrolutea occupe une répartition plus vaste, mais un peu comme on l’observe avec le Lézard vivipare en Europe, il recherche des habitats plus frais et humides alors que d’autres espèces comme son proche cousin T. scincoides recherchent des habitats plus chauds et secs. Dans le sud-est de l’Australie, T. scincoides est présent presque partout, depuis les forêts ouvertes aux zones de savanes, il n’évite que le désert. A la même latitude, celle de Sydney, T. nigrolutea n’est présent qu’en altitude, dans les montagnes bleues. Mais il est aussi présent en Tasmanie, là où en plaine, le climat est assez humide et « frais » (même si ça reste une espèce héliophile qui a des besoins thermiques élevés et qui augmente sa température corporelle grâce aux rayons du soleil).
Blue mountains, habitat de T. nigrolutea

Les scinques sont présents dans presque tous les types d’habitats : dunes du Sahara, forêts humides de Bornéo, savanes d’Afrique, jardins des banlieues d’Atlanta ou de Sydney, garrigues méditerranéennes… Les scinques de « l’ancien monde » sont parfaitement adaptés aux milieux secs voire aux régions les plus arides du globe. Comme nous l’avons évoqué, les déserts américains n’ont pas été colonisés par les scincidés ; par contre, le Sahara, les déserts d’Arabie ou ceux d’Australie sont habités par de nombreuses espèces dont certaines sont parfaitement adaptées au milieu particulier qu’est le désert. Les « poissons des sables » sont typiques des zones sablonneuses du Sahara, ils sont parmi les rares animaux à vivre dans les dunes. L’eau est totalement absente de ces régions, il ne peut que quelques jours par an : pas de quoi étancher sa soif. Comme beaucoup de reptiles de milieu aride, les scinques déserticoles s’hydratent via les proies et sont passés maitre dans l’économie d’eau, leur urine solide est mélangée aux excréments évitant ainsi de gaspiller le précieux liquide.
Dans les régions semi-arides aussi la diversité des scincidés est importante. En Afrique par exemple, parmi les lézards les plus communs on trouve beaucoup d’espèces du genre Trachylepis comme T. quiquetaeniata ou T. margaritifera. Ce sont des lézards terrestres et diurnes qui se montrent facilement, juchés sur un rocher pour profiter des rayons du soleil. D’autres sont bien plus discrets comme les fouisseurs apodes du genre Acontias qui vivent essentiellement cachés sous des racines, des souches, des rochers et dans les termitières. On les voit peu bien qu’ils soient diurnes.

En Europe, Chalcides striatus ou Chalcides chalcides sont des lézards foncièrement terrestres et discrets. Ils vivent surtout au milieu de la végétation rase dans laquelle ils passent inaperçus. En Australie, Tiliqua rugosa est également exclusivement terrestre, sa morphologie ne lui permet pas de grimper, il recherche donc uniquement de terrains plats mais il ne s’enfouit pas et reste ne surface. Leurs proches cousins du genre Egernia vivent sur les grands édifices rocheux, trouvant abris dans les crevasses. E. depressa fréquent aussi les arbres, morts ou vivants, des zones arides et semi-arides d’Australie.

 
Chalcides striatus (Photo Benny Trapp - wikimedia commons)

Les forêts tropicales abritent une très grande diversité d’espèces et de comportements. La plupart des espèces vivent dans les sous-bois, certains sont héliophiles comme les Eutropis, cherchant à s’exposer aux rayons du soleil dans les clairières et les lisères, d’autres sont ombrophiles, préférant le couvert épais.

Certaines espèces de forêt tropicale montrent aussi de fortes affinités avec l’eau et les milieux humides. Les Tropidophorus en sont un bel exemple : ces petits lézards très discrets, au corps couvert d’écailles épineuses, sont originaires du sud-est asiatique, des Philippines et d’Indonésie. Ils vivent dans les forêts tropicales, souvent en altitude, près des cours d’eau notamment les petits torrents dans lesquels ils plongent et nagent. Ils sont surtout nocturnes. Citons aussi les genres Parvoscincus et les Amphiglossus malgaches qu’on peut les qualifier de lézards semi-aquatiques.

Peu d’espèces sont arboricoles, le corps des scinques est assez mal adapté à la grimpette dans les arbres. Toutefois, les genres Prasinohaema, Dasia et Lamprolepis sont de véritables arboricoles. Le scinque mangeur d’escargots, Cyclodomorphus gerrardii qui habite les forêts humides du sud-est de l’Australie, est en partie arboricole, se déplaçant tant dans la végétation basse qu’au sol. Pour grimper aux branches, il s’aide de sa queue préhensile, de même que le grand Corucia zebrata qui lui, par contre, est strictement arboricole.

Cryptoblepharus boutonii est un petit scinque du sud-est de l’Afrique, il ne vit que sur la côte, parmi les formations coralliennes y chassant de petits insectes, crustacés et même de tout petits poissons. En cas de danger, il se jette à l’eau, supportant sans problème l’eau de mer.

La plupart des scincidés sont diurnes pouvant néanmoins devenir nocturnes dans les régions arides en période de fortes chaleurs, mais rares sont les espèces véritablement nocturnes. Citons néanmoins les Eremiacsincus (Australie), Tribolonotus, Tropidophorus ou quelques espèces du genre Liopholis (anc. Egernia) ou encore Corucia zebrata.

 

Eremiascincus richardsonii - photo: Kelapstick - wikimedia commons
 
Comme tous les reptiles non aviens, les scinques sont ectothermes, leur température corporelle est dépendante des sources de chaleur extérieures. La température moyenne préférentielle, où l’animal est pleinement actif, varie non seulement selon ses besoins (digestion, activité, repos…) mais aussi selon l’espèce et son habitat. Classiquement, les espèces vivant en milieu tempéré ont des besoins  en chaleur inférieurs et donc une température moyenne préférentielle plus basse que les espèces tropicales. Mais les espèces tropicales vivant en sous-bois ombragés ont des besoins inférieurs à celles vivant en milieu ouvert et ensoleillé, à fortiori à celles vivants dans les déserts. Tribolonotus gracilis par exemple, une espèce vivant en milieu équatorial mais dans la fraicheur des sous-bois, tolère mal les fortes chaleurs. En captivité, des températures au-dessus de 30°C sont fortement préjudiciables à sa santé. Tiliqua rugosa, vivant en milieu sec et ouvert, a une température préférentielle entre 29 et 34°C environ. D’autres espèces déserticoles comme les Ctenotus d’Australie, sont pleinement actifs quand leur corps atteint les environs de 35°C, contre 24°C pour Eremiascincus fasciolatus qui est une espèce certes déserticole mais nocturne, les lézards nocturnes étant adaptés à l’absence de soleil et à une température nocturne plus faible qu’en journée.

Préférendums thermiques de quelques scincidés :
Espèce Température minimale critique Température optimale Température maximale critique Source
Plestiodon (Eumeces) chinensis 6,2°C 28,2°C 41,1°C Xu et al. 1999
Tiliqua nigrolutea 5,2°C 34,8°C 42,5°C Benett et al. 1986
Egernia cunnighami 4,7 33,3 41,9 Idem
Eremiascincus fasciolatus 9 24,4 41,2 idem
Chalcides ocellatus (population de Lampione)   34,1°C (26,4-38,6°C)   Cascio 2010
 
Comparaison des observations au cours de la journée de scinques du genre Ctenotus vivant souvent en sympatrie (ouest de l’Australie). N = nombre de spécimens observés. Cela montre que ces lézards sont actifs à des moments différents de la journée, se partageant ainsi une même niche écologique.
Espèces          
Heures après le lever du soleil % d’observation : 0 = - de 10%. + = 10-20%. ++= 20-30%. +++ = + de 30%.
1h 0 0 0 0 0
2h ++ 0 + 0 0
3h ++ + + 0 0
4h ++ +++ + 0 0
5h 0 +++ + + ++
6h 0 + + ++ ++
7h 0 0 0 + ++
8h 0 0 0 ++ ++
9h 0 0 0 0 ++
10h 0 0 0 0 ++
12h 0 0 0 0 0
13h 0 0 0 0 0
14h 0 0 0 0 0
           
 
Côté alimentation, les scincidés sont pour la plupart de petits insectivores, mais les grandes espèces sont volontiers omnivores voire végétariennes. Corucia zebrata est exclusivement végétarien, Tiliqua rugosa et Egernia cunninghami le sont à plus de 90% mais c’est très fluctuant selon les saisons. Au printemps ou en été, Tiliqua rugosa se gave de baies et de fleurs, quand celles-ci viennent à manquer il se rabat sur des coléoptères et des escargots. En parlant d’escargots, un met que beaucoup de scinques adorent, le scinque à langue rose (Cyclodomorphus gerrardi) en a fait sa spécialité, c’est un véritable spécialiste alimentaire, ne se nourrissant que de gastéropodes. Il les aime crus, sans beurre et la coquille n’est pas un problème : avec sa puissante mâchoire il les écrase comme on écrase une cacahuète puis se débarrasse des éclats de coquille avec la langue. D’autres espèces raffolent des termites comme certaines espèces apodes (Acontias, Typhlosaurus, Anomalopus…), quant à Coeranoscincus reticulatus, il se nourrit surtout de vers de terre.

Tableau : Etudes sur l’alimentation de 3 espèces de scincidés
Espèce Proies en pourcentage de volume sur l’ensemble des échantillons (sauf remarques) Source Remarques (n= nombre de spécimens étudiés)
Chalcides ocelattus Matériel végétal 35,32%,  Fruits et graines 25,53%, Coléoptères 18,3%, Larves d’insectes 8,51%, fourmis 4,26%, diptères 2,55 %, Gastéropodes 1,28%, Isopodes 1,28%. Carretero et al. 2010. Etude portant sur une population insulaire de Méditerranée (île de Lampione). Il s’agit là d’analyses d’excréments, la part végétale peut comporter les végétaux que les insectes ont eux-mêmes mangé mais on note tout de même un comportement omnivore prononcé, classique des populations insulaires. Les plantes ont été trouvé dans près de 55% des échantillons.
Chalcides ocelattus Coléoptères 56,1%, larves 12,4%, hétéroptères 7,6%, Myriapodes 6,3%, Diptères 4,3%, araignées 2,4%, mollusques 2.2%, isopodes 1,4%, insectes indéterminés 4,7%, Dictyoptères 0%, Amphipodes 0%, matériel végétal 0,4% Kalboussi et al. 2004. Il s’agit là de populations continentales du nord de la Tunisie (n=70). Les coléoptères sont présents chez 84% des échantillons, les larves chez 45,7%, les myriapodes dans 30%, les plantes seulement 2.9%.
Chalcides ocelattus Isopodes 38,6%, larves 19,3%, hétéroptères 8,6%, araignées 7,9%, Coléoptères 7,1%, Dyctioptères 3,6%, Amphipodes 2,9%,  mollusques 2,1%, matériel végétal 0%. Kalboussi et al. 2004. Il s’agit là de la même étude que plus haut mais sur les populations du sud de la Tunisie (n=35), on observe une grande différence entre les régimes alimentaires, les coléoptères ne représentent plus qu’une faible partie alors que les isopodes sont davantage consommés et présents dans 54% des échantillons.
Eutropis multifasciata Orthoptères (grillons, criquets) 14,19%, autres scinques 10.22%, larves d’insectes 8,33%, isoptères 8,32%, araignées 6%, coléoptères 4,69%,  hémiptère 4,94%, grenouilles 4,59%, lombrics 4,28%, mantes 4,34%, lépidoptères (papillons) 3,77%, plantes 1,51% Ngo et al. 2014 N= 149 contenus stomacaux.
Niveoscincus ocelattus Araignées 35,2%, Diptères (tupilidés) 35,2%, Coléoptères (adultes) 29,4%, coléoptères (larves) 29,4%, fourmis 20,5%, autres diptères 17,6%, Larves de lépidoptères 14,7%, lépidoptères adultes 8,8%, plantes 8,8%. Wapstra et al. 1996 En pourcentage d’estomacs contenant ces proies. Données en octobre (printemps austral) n= 34. Le matériel végétal est surtout composé de petites baies. Pourcentage d’estomacs vides 5,8%.
Niveoscincus ocelattus Fourmis 24%, araignées 20%, Coléoptères adultes 16%, Coléoptères larves 12%, hemiptères 14%, lépidoptères adultes 14%, Ichneumons 10%, Orthoptères 10%, isoptères 8%, diptères 8%, larves de lépidoptères 8%, plantes 4% Wapstra et al. 1996. En pourcentage d’estomacs contenant ces proies. Même études mais données en mars (automne austral) (n= 49). Pourcentage d’estomacs vides : 14%. En janvier les coléoptères adultes représentent 48,6%, les isoptères 62,9% alors qu’ils sont absent les autres mois (sauf février avec 8,8%)

Si les grands scinques sont d’assez mauvais chasseurs voire de pacifiques végétariens, les petites espèces sont d’habiles petits prédateurs d’insectes et autres arthropodes, vers ou mollusques. Ils possèdent en général une mâchoire robuste capable d’écraser la chitine des insectes. Leur longue langue charnue leur sert à déplacer la nourriture dans la gueule, se « lécher les badines », mais elle a un rôle supplémentaire, courant chez les squamates : la vomérolfaction. Il s’agit de collecter des molécules odorantes avec la langue et de les transmettre à l’organe de Jacobson, un organe sensoriel placé dans le palais qui analyse ces molécules odorantes indépendamment de celles réceptionnées par le nez. Cette faculté sensorielle est particulièrement développée chez les varans et les serpents, optimisée par leur langue bifide qui n’a plus aucune fonction gustative ni mécanique. Chez les scinques, la langue conserve ces deux fonctions basiques et n’est pas bifide, mais comme les serpents ou les varans, lorsqu’un scinque a repéré visuellement quelque chose de « louche » ou d’intéressant près de lui, il va sortir sa langue par à-coups pour « sentir par la langue ». En plus donc d’une très bonne vue, d’un bon odorat, d’une ouïe correcte, les scinques analysent leur environnement avec un sens voméronasal parmi les mieux développés chez les squamates n’ayant pas de langue bifide.

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