Ecologie des scincidés : Répartition, habitats, comportements alimentaires et reproducteurs.

Vincent NOËL – juillet 2016.

Les scincidés sont répartis dans le monde entier, à l’exception – comme la plupart des reptiles non aviens – des régions polaires et de très haute altitude. Toutefois, ce sont avant tout des habitants de milieux chauds, subtropicaux ou tropicaux, rares sont les espèces qui vivent en climat tempéré. En Europe, on ne connait que 3 espèces : Chalcides striatus, Chalcides chalcides et Ablepharus kitaibelli, qui ne sont de plus présentes qu’au sud du continent, sous un climat méditerranéen. Toutefois, aux Etats-Unis, les espèces comme Scincella lateralis, certains Plestiodon comme P. fasciatus vivent en climat tempéré continental, jusqu’à la frontière canadienne, de même que les espèces japonaises et du nord-est de la Chine (ex : Plestiodon japonicus). Ces deux genres ont d’ailleurs une particularité, on le rencontre tous deux à la fois aux Etats-Unis et en Asie.

Le continent américain montre une diversité d’espèces assez réduite par rapport à « l’ancien monde ». Toutefois, cette diversité semble encore peu explorée et de nombreuses espèces restent à identifier notamment en Amérique du sud et aux Caraïbes où de nouvelles espèces ont été décrites ces dernières années. La relative rareté des scinques en Amérique laisse les scientifiques perplexes car partout ailleurs dans le monde ils se montrent très adaptables, capables de conquérir tous types de milieux y compris hostiles comme les déserts. D’après Pianka & Vitt (2004) deux hypothèses peuvent expliquer cette faible diversité. D’une part, les scinques américains seraient trop mal adaptés aux zones désertiques, ils en sont en effet absents et les quelques espèces qui y vivent recherchent des micro-habitats humides. D’autre part, la concurrence menée par les téidés, un groupe de lézards ne vivant qu’en Amérique les auraient évincés. Les téidés occupent une niche écologique semblable aux scinques mais entrent en concurrence avec les scincidés, au désavantage de ces derniers qui occupent les niches écologiques que les téidés n’occupent pas.

L’Afrique sub-saharienne est riche en scincidés avec une forte diversité du côté du genre Trachylepis. Contrairement au continent américain où les scincidés occupent davantage les milieux humides, en Afrique ce sont les milieux secs et semi-arides qui montrent la plus grande diversité. On trouve néanmoins des espèces typiquement forestières comme celles du genre Lepidothyris. L’Afrique est également la patrie des acontianinés, un groupe de scinques apodes et fouisseurs. A Madagascar, on compte 78 espèces, beaucoup sont endémiques. L’une des plus étranges est Voeltzkowia mobydick (d’abord nommé Sirenoscinus mobydick) dont le nom fait évidemment référence à la baleine du roman de Melville. On y trouve aussi les espèces semi-aquatiques du genre Amphiglossus.

 
Voeltzkowia mobydick - Wikimedia commons.

L’Australie est un paradis du scincidophile ! Parmi les lézards diurnes, ils sont les plus nombreux. Sur le millier d’espèces de lézards et serpents présents en Australie (ce qui représente plus de 10% des squamates du monde), on compte 450 espèces de scincidés : près de la moitié de l’herpétofaune australienne. Certains herpétologues estiment que les scinques occupent ici la place que les lacertidés occupent en Europe : celle des petits insectivores terrestres et diurnes. L’Australie est un continent plat, assez homogène et occupé en majeure partie par des zones arides et semi-arides. Contrairement aux îles où la mer forme une barrière géographique propice à l’endémisme, il n’y a à priori pas de barrières géographiques et on pourrait croire à une faible diversité d’espèces notamment dans des habitats « monotones » comme les déserts du centre et de l’ouest. Or il n’en est rien, dans une même région on observe différentes espèces vivant en sympatrie. Un certain nombre d’espèces du genre Ctenotus par exemple vivent dans la même région, une vaste étendue désertique à l’ouest de l’Australie. Toutefois, chaque espèce se partage l’habitat, en exploitant une niche écologique différente (en étant actifs à différents moments de la journée, occupant des micro-habitats spécifiques…. Ces lézards sont d’excellents modèles pour étudier la spéciation au sein d’un continent et d’un écosystème similaire.

La Nouvelle-Zélande n’abrite pas une herpétofaune très variée, seules y vivent des geckos (dyplodactylidés), des scinques et bien entendu, les extraordinaires Rhyncocéphales (Sphenodon spp.), qui bien que ressemblant à des lézards n‘en sont pas. On n’y trouve aucun serpent terrestre, aucune tortue ni de crocodiles et seulement quelques espèces d’amphibiens. Les scinques sont le groupe principal avec 40 espèces, toutes du genre Oligosoma. Le scinque australien Lampropholis delicata y a été introduit. L’espèce Leiolopisma fasciolare parfois mentionnée dans la littérature pose problème, car elle ne semble pas ou plus exister ! Girard en fit la description en 1858, le situant en Nouvelle-Zélande alors que les espèces connues de ce genre vivent à l'île Maurice. On ne connait qu’un spécimen récolté en 1840 : l’holotype de Girard, qui a d’ailleurs très mal vieilli dans son bocal ! Aucun spécimen n’a jamais été observé depuis, c’est donc une énigme et il semble que cet holotype ne soit en réalité pas néo-zélandais.

Leiolopsima telfairdi originaire de l'ïle Ronde (Ile Maurice). Photo Josh Noseworthy Wikimedia commons
 

La région pacifique, notamment occidentale, est un immense complexe d’îles dont la liste ne pourrait pas être donnée ici. On y note un très fort endémisme, des espèces typiques d’une île ou d’un archipel. Les scinques n’échappent pas à cela et selon Adler et al. (1995), 66% des espèces de scincidés présentes dans les îles du Pacifique sont endémiques d’un seul archipel, depuis les Mariannes à la Polynésie en passant par les Salomon. Mais la diversité des espèces est très inégale : alors que la Nouvelle-Calédonie montre une grande diversité d’espèces endémiques, Hawaï en est dépourvue, les seules espèces présentes ont été introduites. La Nouvelle-Calédonie comporte d’ailleurs essentiellement des espèces endémiques et deux d’autres îles du Pacifique mais aucune continentale, alors que sur l’archipel des Bismarck par exemple, on compte 19 espèces endémiques sur les 34 recensées, les autres étant continentales ou originaires d’autres îles du pacifique.

Parmi les îles où la diversité de scinques est la plus remarquable nous avons donc la Nouvelle-Calédonie où l’on dénombre 63 espèces. Certaines espèces comme Caledoniscincus chazeaui ou du genre Nannoscincus (ex. N. exos ou N. greeri…) ont des aires de répartition très limitées. Elles n’ont parfois été observées qu’une seule fois comme Caledoniscincus cryptos, une espèce décrite en 1999 et dont on ne connait qu’un  spécimen capturé au Col d’Amieu. La dégradation des habitats (destruction totale, transformation ou colonisation par des plantes exogènes) et le problème des fourmis de feu (des insectes introduits et très agressifs) ont provoqué le déclin dramatique de beaucoup de ces petites populations et 5 espèces néo-calédoniennes sont en danger critique d’extinction (voir à la fin de cet article).

Le scinque terrifiant de Bocourt porte un nom qui fait peur, pourtant, Phoboscincus bocourti n’a rien d’un monstre même si avec une taille d’une cinquantaine de centimètres, c’est un des plus grands scincidés du monde. Mais son histoire est singulière. Cette espèce fut décrite par Paul Brocchi en 1876 sur la base d’un seul spécimen capturé et envoyé à Paris par le botaniste B. Balansa en 1870. Il resta longtemps le seul spécimen connu, jamais aucun autre individu ne fut observé dans la nature. Certains voyaient dans le spécimen type de 1876 un spécimen de P. garnieri, la seconde espèce du genre qui vit sur l’île principale de Nouvelle-Calédonie. Toutefois, quelques détails permettaient de montrer que P. bocourti est une espèce distincte, ce que A. E. Greer mis en évidence en 1974. P. bocourti fut alors considéré comme une espèce éteinte. Mais en 2003, Ivan Ineich, herpétologue au muséum d’histoire naturelle de Paris, découvre par hasard un de ces gros lézards sur une petite île au large de l’île des Pins. Malgré la grande timidité de ce lézard, qui passa inaperçu pendant plus de 130 ans, il aura le temps de le capturer, le photographier et même le filmer. Pour éviter des prélèvements, les populations de ce lézard étant estimées à moins de 250 spécimens, Ineich ne donne pas le nom de l’îlet où il l’a découvert, le nommant « îlet X ». Avec la certitude que cette espèce existe toujours, et en sachant où elle vit, Ineich découvre que dans le livre de Bauer & Saldier (herpetofauna of New-Caledonia, 2000) et auquel Ineich contribua, une des photographies montrant un jeune scinque estampillé P. gardneri capturé sur l’îlet X était en fait un juvénile du scinque terrifiant de Bocourt passé inaperçu !

Dans « le gendarme et les gendarmettes », l’adjudant Gerber menace d’envoyer Cruchot aux îles Kerguelen : punition suprême ! Mais il aurait mieux valu le menacer d’aller se retrouver sur l’ilôt de Clipperton ! Ce caillou (il n’y a pas d’autres mots) planté sur un atoll est inhabité : tous ceux qui ont voulu y vivre y sont morts ou devenus fous ! Pour y filmer une adaptation du roman « la peau froide » de Sanchez-Pinol, on ne trouverait pas mieux ! Perdu au large du Mexique, dans l’Océan Pacifique, on trouve sur cette terre française surtout des oiseaux marins, des crabes, des sacs de cocaïne abandonnés par les trafiquants lors de poursuites en mer et deux espèces de lézards : un gecko, et un scinque, Emoia arundeli. L’heprétologue Ivan Ineich a étudié ces deux petits lézards lors d’une expédition scientifique organisée par le célèbre explorateur Jean-Louis Etienne – d’habitude plus branché neige qu’atoll – et découvert qu’ils se nourrissaient surtout des insectes qui parasitent les nids des oiseaux. Ce lien entre colonies d’oiseaux et petits scinques se retrouve dans d’autres régions du globe comme en Nouvelle-Zélande.

L’état américain d’Hawaï ne possède pas une herpétofaune très riche. De plus, de nombreuses espèces animales et végétales y ont été introduites par l’Homme, la faune endémique en souffrant considérablement. Parmi les scinques, deux espèces sont ainsi été introduites puis ont disparues ! Emoia cyanura, une espèce commune dans le Pacifique, a disparu dans les années 1900. Quant à Emoia impar, souvent confondue avec l’autre, elle a été introduite un peu avant les années 1970 mais a disparu après 1990. L’explication est l’introduction des fourmis de feu, dans le cas d’Hawaii il s’agit de Pheidole megacephala. Ces fourmis très agressives posent problème dans de nombreuses régions du monde, elles sont également responsables de la régression de certaines espèces de Nouvelle-Calédonie.

 
Emoia impar (photo Chris Brown USGS - Wikimedia commons)

L’archipel indo-malais est également riche en espèces, les Philippines comptent une cinquantaine d’espèces, l’île de Bornéo plus de 40 et de nouvelles y sont décrites régulièrement. Les îles de ce vaste complexe sont proches les unes des autres. Lors des dernières glaciations, le niveau des mers pouvait être plus bas de 120 m par rapport à aujourd’hui, certaines îles étaient alors accessibles à pieds. Ce fut le cas par exemple de la Nouvelle-Guinée et de l’Australie, ainsi on trouve des espèces similaires de part et d’autre du détroit de Torrès comme Bellatorias frerei présent au nord-est de l’Australie et au sud de la Nouvelle-Guinée. Ces deux grandes îles formaient alors un continent nommé Sahul qui est séparé par la mer depuis la fin de la glaciation du Würm, il y a 10 000 ans seulement, pas assez pour que les espèces séparées se modifient. Dans d’autres cas, la colonisation s’est faite par « radeaux naturels », des arbres arrachés par les tempêtes tropicales et autres typhons et qui ont dérivé avec les courants marins. Des lézards s’y sont accroché, ont survécu et ont accosté sur des îles parfois très éloignées. C’est ainsi qu’ont été colonisées des îles volcaniques qui ont émergé de la mer et n’ont jamais reliées aux continents ou à d’autres îles.

Habitats et écologie: page 2…

 



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